La marge du temps, un blog culturel et littéraire
Exposition,  Histoire

Le Red Star, un club de football mythique

Devenu récemment Audonien (le gentilé de Saint-Ouen), je m’enquis auprès de l’office du tourisme sur les activités de ma nouvelle ville. Par chance, ce lieu abritait, en ce mois d’août 2023, une exposition (du 13 janvier au 22 septembre 2023) – « Red Star FC : un club historique ! (1897-2022) » – organisée conjointement par l’établissement public territorial Plaine Commune, la ville de Saint-Ouen et l’office du tourisme Plaine Commune Grand Paris. Habituellement le football m’intéresse modérément, principalement lors des Coupes du monde, quand la France joue et encore si elle est en lice pour les quarts de finale. Un passionné, quoi !

Dans mon enfance, en province, j’entendais à la radio, le dimanche soir, les résultats du Championnat de France de football de première division. Il était question d’un club qui détonnait par rapport aux autres dont le nom intégrait habituellement celui de leur ville : l’Association sportive de Saint-Étienne, le Stade rennais, le Football Club de Nantes, l’Olympique Gymnaste club de Nice… En revanche, le Red Star Football Club ne permettait pas de le localiser sur la carte. Était-il sur le sol anglais ? Il était aussi question, lorsque l’on parlait de ce club, du stade Bauer – un nom originaire de l’Est – sur la pelouse duquel se jouaient les matchs à domicile.

C’est donc lors de cette visite que je découvris, cinquante ans plus tard, que le Red Star était le club de Saint-Ouen et même l’institution la plus célèbre, avec le marché aux puces de la ville où je vivais désormais. Je décidai donc de vous raconter ma visite, riche en découvertes.

Jules Rimet

Tout a commencé en 1897, quand Jules Rimet, 23 ans, son frère Modeste et deux amis proches (Ernest Weber et Charles de Saint-Cyr) créèrent au café des sports de la rue de Grenelle (7e arrondissement de Paris) un club omnisports (athlétisme, rugby, lutte, escrime, cyclisme), dont le football prit au fur et à mesure l’ascendant sur toutes les activités proposées. Ce fut grâce à sa gouvernante anglaise, qui traversait régulièrement le Channel sur les navires de la Red Star Line, que Jules Rimet eut l’idée, en observant le ticket d’embarquement, d’appeler son association sportive le « Red Star Club ».

L’ambition de Jules Rimet – qui deviendra le président de la FIFA (Fédération internationale de football association) de 1921 à 1954 et l’initiateur de la Coupe du monde en 1930 – était d’encourager la jeunesse à « travailler le corps et éveiller l’esprit ». Issu du monde catholique social, proche du mouvement politique le Sillon de Marc Sangnier, il tenait le sport capable de dépasser les clivages de classes.

L’âge d’or des années 1920

Les premières années, le club changea de terrain comme de maillot : Champ-de-Mars, Bagatelle, Meudon, Grenelle. C’est en 1909 qu’il déménagea à Saint-Ouen quand la création du vélodrome d’hiver (le futur « Vel d’Hiv ») le chassa de Grenelle. Installé au stade de Saint-Ouen, qui deviendra stade de Paris en 1922, et enfin stade Bauer[1], après la Seconde Guerre mondiale, le club inaugura la pelouse le 22 octobre 1909 par une victoire contre l’équipe anglaise des Old Westminster sur le score sans appel de 3-1.

C’est dans les années vingt que le club connut son heure de gloire en remportant successivement trois Coupes de France (1921 contre l’Olympique de Paris ; 1922, le Stade rennais ; 1923, le Football Club de Sète) grâce à des joueurs de classes internationales tels que l’arrière Lucien Gambin (1890-1972), le gardien de but Pierre Chayriguès (1892-1965), dont le journal L’Auto déclara qu’il était le meilleur gardien de tous les temps ! La Coupe de France, dans ces années-là, était l’épreuve sportive la plus populaire, tous sports confondus. L’autre figure importante du club, avant la Première Guerre mondiale, fut le buteur Eugène Maës, un joueur international qui marquait aussi bien des pieds que de la tête. Enfin, en 1928, le Red Star remporta sa quatrième victoire en Coupe de France face au Club Athlétique de Paris au stade de Colombes. Belle décennie qui se révélera la dernière à ce niveau.

Entre première et deuxième division

Dès la saison 1931-1932, le club entré dans le monde professionnel connut son premier déclin, alors que jusqu’ici il dominait le football amateur français. En dépit de ses vedettes comme Fred Aston (1912-2003), le « feu follet », dont les dribles endiablés rendaient fous ses adversaires, et Alexis Thepot (1906-1989), déclaré le meilleur gardien de la Coupe du monde 1930, les résultats n’étaient plus à la hauteur de la décennie passée.

À partir de ce changement de statut, le club oscilla entre la première (D1) et la deuxième division (D2). Dès sa première saison, il fut relégué en D2 et au cours des années trente, le club navigua entre les deux niveaux. Pendant la guerre, en 1942, le Red Star remporta sa cinquième et dernière Coupe de France en gagnant d’abord la coupe de la zone occupée, puis en dominant Sète FC, vainqueur de la coupe de la zone libre.

Lors de la saison 1949-1950, il retomba en D2 et les joueurs redevinrent amateurs. Les années cinquante furent sportivement particulièrement difficiles. Pour parachever les difficultés, la corruption survint en 1954-1955, puis de nouveau en 1960, qui consistait à acheter certains joueurs des équipes adverses. Pratique qui mettait à mal le Fair Play du club qui faisait la fierté des supporters. Lors de cette dernière affaire, il fut radié du monde professionnel et fut placé d’office en division d’honneur (DH) de la Ligue de Paris (le quatrième niveau). Et les décennies suivantes furent sur le même ton : montée, descente, montée, descente… C’est en 1974-1975 que le Red Star quitta définitivement l’élite – la D1.

Un club de coupe

Comme le soulignait justement le texte de l’exposition : la D1 était trop grande, mais la D2 trop petite pour le Red Star, qui se révèle être un club sui generis, d’où cette alternance perpétuelle entre le haut et le bas dans les championnats. Les résultats du Red Star, en forme de montagnes russes, montrent une instabilité chronique qui, pourtant, appartient à l’identité du club et fait son charme. Capable du meilleur comme du pire, de l’exploit ou de la défaite cuisante, le Red Star est davantage un club de coupe que de championnat. Dans une coupe chaque match est comme le dernier et chacun des joueurs jette toutes ses forces dans la bataille, comme un sprint, alors que le championnat est une épreuve de longue haleine, en somme une course de fond où la régularité est une qualité indispensable.

Afin de tenter de se maintenir dans l’élite, le Red Star, au cours de son histoire, fusionna à plusieurs reprises avec d’autres clubs. D’abord en 1926, avec son rival l’Olympique de Paris, c’est à cette occasion qu’il adopta son fameux maillot vert et blanc. En 1945, une polémique se déclara entre le club et la ville qui voulait récupérer le stade. Outre de drastiques conditions financières, le Red Star pour le conserver fut alors obligé de se fondre avec plusieurs clubs locaux pour mutualiser les frais : le Gymnase club, l’Union sportive et artistique audonienne, l’Union des marcheurs de Saint-Ouen, le Club sportif audonien.  En 1948 eut lieu la fusion avec le Stade français qui ne dura que deux saisons, vu les résultats médiocres. Puis, en 1967, un événement surprenant survint : le club audonien, qui souhaitait rester en D1, incorpora en son sein le Toulouse Football Club ! dont le président était le tonitruant « milliardaire rouge », Jean-Baptiste Doumeng. Les joueurs toulousains firent le voyage à Saint-Ouen, sauvant ainsi le Red Star de la relégation en D2, mais ce fut de courte durée, car les mauvaises performances ne purent lui éviter une nouvelle déconvenue.

1978 fut une mauvaise année, le club étant mis en redressement judiciaire en raison d’une dette contractée envers une caisse de retraite interprofessionnelle. Exclus une nouvelle fois du football professionnel, les joueurs furent licenciés et rétrogradés en division d’honneur. Dans les décennies suivantes, l’ascenseur se fit entre la D2 et la D3, puis entre la D3 et la DH.  En juin 2003, le club pour la seconde fois déposa le bilan et repartit en division d’honneur.

Social, culture et éducation

À partir des années quatre-vingt, une politique fut mise en place renouant ainsi avec le projet de Jules Rimet de faire rimer sport avec social, culture et éducation. D’abord, le Red Star développa une politique de formation des jeunes, puis en 1991 il créa un centre de formation entre le football et la société. Patrick Lecornu et François Gil, deux dirigeants, formèrent des jeunes franciliens issus des zones urbaines sensibles. En 1998, dans le même esprit, fut créé le « Red Star emploi » qui recruta 200 emplois-jeunes et offrit à ceux-ci des formations qualifiantes. Puis, en 2008, fut installé le « Red Star LAB », créé par Patrick Haddad le président actuel du club. C’est un laboratoire artistique et culturel à destination des jeunes licenciés du club pendant les vacances scolaires. Le but est d’élargir leur champ de vision en les initiant à l’art et à la culture. Ainsi, on leur fait découvrir la sculpture, le stylisme, la cuisine, le podcast, le théâtre, le tournage de cinéma, les ateliers d’écriture.

Le palmarès du Red Star est constitué de cinq Coupes de France (1921, 1922, 1923, 1928 et 1942), de deux Championnats de France de deuxième division, en 1934 et 1939, de deux Championnats National (ex-D3), en 2015 et 2018. Racheté en 2022, par un fonds de pension américain le « 777 Partners », le club est actuellement en National, mais a l’ambition de revenir au plus haut niveau, d’abord en Ligue 2 (ex-D2), puis à terme (rêvons) en Ligue 1 (ex-D1). Pour s’en donner les moyens, le stade Bauer, depuis 2021, est en reconstruction et contiendra 10 000 places. Un stade new-look, à l’anglaise où les tribunes sont proches des pelouses, qui devrait accueillir le public à l’été 2024.

L’exposition de l’office du tourisme de Saint-Ouen n’était pas exclusivement footballistique, retraçant la longue histoire du club, un film d’une vingtaine de minutes, Nous sommes le Red Star, de Christian Paureilhe et de Monica Regas, complétait la visite. L’après-guerre y est valorisée par Omar Terbèche, président des jardins ouvriers d’Alsthom, qui brosse le paysage industriel de Saint-Ouen où les grandes entreprises comme Citroën permettaient, grâce à la taxe professionnelle, une politique sociale très active en direction du troisième âge et des jeunes. La résistance au nazisme est aussi un haut lieu mémoriel qui fait la fierté du club et de ses supporteurs. Rino Della Negra, son joueur-martyr, fut fusillé avec ses vingt-trois camarades du groupe Manouchian au fort du Mont-Valérien le 21 février 1944. En hommage, la tribune principale du stade Bauer porte son nom. Dans le film, les Audoniens, des journalistes locaux, d’anciens joueurs, le président du club, le maire de Saint-Ouen, disent ce que représente pour eux le Red Star et le stade Bauer inséparables l’un de l’autre : de l’émotion pure. Allez le Red Star !

Didier Saillier

(Novembre 2023)

[1] Le stade Bauer ainsi que la rue du Docteur-Bauer (voie baptisée le 12 octobre 1944) doivent leur nom au docteur Jean-Claude Bauer (1910-1942), d’origine juive, médecin généraliste, résistant communiste qui fut fusillé à la forteresse du Mont-Valérien le 23 mai 1942.

Photo : L’équipe du Red Star en première division lors de la saison 1970-1971. Debout de gauche à droite : Jean Mouthon, Louis Ferrié, Christian Laudu, Prudent Bacquet, Carlos Monin, Guy Garrigues. Au premier plan : Bernard Garcia, Jacques Simon, Selemir Milosevic, Hubert Guéniche, José Ahache. © L’Équipe Magazine.

Un critique culturel et littéraire qui écrit sur les œuvres qui l'enthousiasment. « Rien de grand ne se fit jamais sans enthousiasme » Ralph Waldo Emerson (« Société et Solitude ») ; « La plus grande décadence dans ce monde est de perdre son enthousiasme. » H. W. Arnold

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