Thierry Dancourt est un nouvel auteur apparu sur la scène littéraire, en 2008, avec Hôtel de Lausanne, puis, en 2010, Jardin d’hiver. Les commentateurs l’ont immédiatement comparé avec Patrick Modiano. Les avis étaient partagés à propos de cette ressemblance. Les critiques journalistiques dans l’ensemble lui ont rendu dans la presse un hommage appuyé par des comptes-rendus élogieux, alors que de nombreux internautes, dans leurs blogs, lui ont reproché de manquer d’originalité, en se plaçant dans les pas d’un écrivain illustre, et de camper des personnages dépourvus de substance, englués dans l’inaction. Ces critiques m’ont rappelé celles que l’on pouvait adresser à Modiano lui-même dans les années 1980 et 1990 : une petite musique ou le vide se disputait à l’ennui.
Parodie ?
Depuis plus de quarante ans que Modiano écrit, il a exercé une influence, plus ou moins marquée, sur les lettres françaises et a fait l’objet de textes parodiques. Ce privilège de se faire chahuter est paradoxalement un hommage rendu à son style et à son univers reconnaissables entre tous, puisque seuls les écrivains au style original sont parodiés.
Si Thierry Dancourt a suscité mon intérêt, c’est justement en raison de sa proximité stylistique avec l’auteur de Quartier perdu que je lis avec constance depuis mon adolescence. Il m’est plaisant de repérer les références, plus ou moins cryptées, empruntées à son modèle.
Les deux auteurs écrivent des romans courts (moins de 200 pages), nostalgiques, consacrées à la mémoire culturelle française, et mettent en scène des personnages inactifs, si légers que leurs empreintes ne laissent que peu de traces de leur passage. L’onomastique (les noms à consonance étrangère ou issus du terroir français) et les toponymes (les voies du XVIe arrondissement de Paris) sont proches. Certaines scènes de Dancourt renvoient même explicitement aux romans de Modiano.
Hors du temps
L’action dans Hôtel de Lausanne se déroule en 1971 — année suggérée élégamment par l’allusion au suicide de Montherlant survenu un an plus tôt — pourtant l’ambiance évoquée donne la sensation d’être hors du temps et de l’espace. Cette volonté de Dancourt d’ancrer au début de cette décennie son roman a probablement pour fonction de le démarquer — légèrement — de son modèle qui lui s’est fait le spécialiste des années 1940-1960. Mais il suggère l’intemporalité de son univers en n’évoquant pas l’agitation politique, pourtant fort en vogue à cette époque, ou toute allusion à l’actualité.
Le roman se passe pour l’essentiel à Paris qui devient par la force de la description, un Paris désert, calme, en quelque sorte une Suisse du cœur. Comme chez Modiano, les lieux sont des refuges pour se protéger de l’agitation du monde. Les « héros », Christine Stretter, une jeune fille douce et élégante, et Daniel Debaecker, un jeune homme sans qualité, déambulent dans les rues enneigées irréelles, fréquentent des cafés aux banquettes en moleskine verte et se retrouvent dans des chambres d’hôtels de petites villes provinciales — lieux par excellence de la tranquillité, voire de l’ennui.
Des excentriques
Une galerie de personnages excentriques vient faire contrepoint à ce couple sans aspérité. Le père de Christine Stretter, un retraité de la radiodiffusion, vit au rez-de-chaussée d’une maison à l’aspect de bonbonnière. Tenue dans le clair-obscur, la pièce est éclairée par une série de mappemondes lumineuses dont il est un collectionneur fanatique. Le fiancé « officiel » et improbable (qui n’est pas Daniel Debaecker) habite dans la demeure du père de Christine, et passe ses journées en pyjama et en robe de chambre, tout en se rêvant cinéaste. Ces personnages principaux ou secondaires quelque peu marginaux ne parviennent pas à prendre leur place dans la société. Leurs endroits préférés (la maison du père, les chambres d’hôtels, le café fétiche tenu par une figure maternelle) ne sont que des havres pour étouffer leur peur face à l’existence.
Les images empruntées à l’univers de Modiano sont revisitées. Ainsi un immeuble, cinglé par des bourrasques de pluie, est vu comme un paquebot : « “Ça y était”, les amarres avaient été larguées, l’immeuble commençait à bouger et se détachait peu à peu du « quai » Paul-Doumer. Il allait s’éloigner petit à petit, quitter son port d’attache, rejoindre la Seine, puis ce serait la haute mer… » Cette image pourrait se trouver chez Modiano, cependant y est absente. C’est dans cet écart que se révèle le talent de Dancourt.
Humour
A l’atmosphère modianesque, il se mêle, par surcroît, un humour constant — absent chez Modiano qui, pour sa part, privilégie l’émotion et l’angoisse — que l’on retrouve tant dans les dialogues que dans les situations. Par exemple, dans Jardin d’hiver, on rencontre un retraité haut en couleur, M. Smeyers, mangeant des sandwiches à la bibliothèque municipale en lisant d’anciens numéros du Phare de Royan, vieux de quelques décennies car « les événements se ressemblent, par-delà les années ».
Modiano n’est pas l’unique fantôme qui hante les romans de Dancourt, on perçoit d’autres présences comme celles de Marguerite Duras pour l’ambiance d’atonie (le nom Stretter sort directement du Vice-consul et du film India song), et de Raymond Queneau pour le décalage humoristique. En ce sens, on peut affirmer que les romans de Thierry Dancourt sont le fruit de ses lectures, mais tous les romans ne sont-ils pas des palimpsestes et les romanciers des plagiaires plus ou moins discrets ?
Thierry Dancourt qui propose un univers désuet, nostalgique, burlesque et poétique, est un écrivain qui a su trouver son écriture à partir d’un modèle. Écrire un « Modiano » est devenu avec lui un genre littéraire comme on peut le dire du genre policier. Personne n’aurait l’idée de reprocher à un auteur d’écrire un roman d’aventures ou de science-fiction avec des passages obligés propres au genre en question. C’est ainsi que l’ont compris les membres de jurys littéraires qui lui ont décerné le Prix du premier roman — par des critiques et des écrivains — et le Prix Roland de Jouvenel.
Nous attendons avec impatience son prochain opus.
Didier Saillier
(Septembre 2011)
PS : Il arrive parfois que la littérature soit jugée inutile pour n’être qu’une œuvre d’imagination éloignée du réel. Pour ma part, les romans de Patrick Modiano ont eu le mérite de me faire découvrir Paris en leur temps, en m’entraînant sur les lieux mêmes où se déroulaient les événements relatés. Il en est de même de Jardin d’hiver de Thierry Dancourt, qui m’a servi, en ce début du mois de septembre, de guide touristique pour visiter Royan. Grâce soit rendue à la fiction.
– Thierry Dancourt, Hôtel de Lausanne, La Table ronde, coll. « Vermillon », 2008, 176 pages (repris en format de poche 10/18, coll. « Domaine français », n° 4368, 2010).
– Thierry Dancourt, Jardin d’hiver, La Table ronde, coll. « Vermillon », 2010, 169 pages (repris en format de poche 10/18, coll. « Domaine français », n° 4646, 2013).
Photo : Concours d’élégance, années 1950.