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Exposition,  Histoire

1940-1944 : Une période bien occupée

Dans le cadre des commémorations du 70e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Archives nationales, à l’hôtel de Soubise, organisent l’exposition « La Collaboration 1940-1945 », du 26 novembre 2014 au 5 avril 2015, qui explique les rouages de cette politique et montre plus de 300 documents et objets – dont beaucoup d’inédits – liés aux acteurs de cette période. Soixante-dix ans après la libération du territoire, l’Occupation reste un sujet sur lequel les Français s’interrogent encore.

 

L’étymologie nous apprend que le substantif « collaboration » vient du latin collaborare « travailler de concert ». Ce qui laisse entendre l’idée de réunir les forces dans un projet commun entre deux ou plusieurs partenaires. Or, si l’on observe la collaboration mise en œuvre entre l’Allemagne nazie et la France de Vichy, on s’aperçoit qu’elle fut unilatérale. En effet, dans le projet allemand la France ne devait, à aucun moment, recouvrer ses forces et son prestige, mais seulement être le vassal de l’Allemagne et une source économique livrée au Reich.

Le mot « collaboration » fut prononcé lors de la rencontre de Montoire entre le maréchal Pétain et le Führer survenue le 24 octobre 1940. Depuis la débâcle et l’armistice du 22 juin, la France restait un pays vaincu, c’est pourquoi Vichy proposa de « collaborer » pour assouplir les effets de la défaite. La motivation première est due à une Realpolitik de courte vue : devenir un allié de l’Allemagne ferait de l’adversaire démis un partenaire à part entière. Or, il n’en fut rien. L’Allemagne ne voulait pas d’une coopération égalitaire et Vichy ne souhaitait pas s’engager trop loin (du moins avant 1944), notamment dans le domaine militaire.

Collaborateurs versus collaborationnistes

L’accession de Pétain au pouvoir fut, pour la droite nationaliste, une « divine surprise » pour reprendre les termes de Charles Maurras. On pouvait enfin mettre en place une « Révolution nationale » qui allait balayer les acquis de la Révolution française et les avancées du Front populaire. Ayant les coudées franches, les forces conservatrices mirent à bas les institutions républicaines et s’attelèrent à façonner des mentalités empreintes d’idées traditionnelles. À la fois pour donner des gages aux vainqueurs et par conviction personnelle, le régime français précéda les demandes allemandes en promulguant des lois contre les juifs et les « sociétés secrètes », c’est-à-dire les francs-maçons. Dans le couloir de l’entrée de l’exposition, on peut entendre le discours radiodiffusé de Pétain du 30 octobre dans lequel il déclare : « J’entre aujourd’hui dans la voie de la collaboration. »

Parallèlement au gouvernement vichyssois, l’ultra droite – celle qui fut appelée à Vichy en 1944 – se trouvait à Paris et souhaitait que la France s’engageât complètement en devenant à part entière une alliée de l’Allemagne. Les « collaborationnistes » mirent en place la Légion des volontaires français contre le bolchevisme (LVF), projet qui fut soutenu par Pétain déclarant dans une lettre qu’elle détenait « une part de notre honneur militaire ». Dans l’exposition, cette tendance extrémiste est bien expliquée. Elle était composée de groupes dont les plus importants étaient le Parti populaire français (PPF) de l’ancien communiste Jacques Doriot, le Rassemblement national populaire (RNP) de l’ancien socialiste Marcel Déat et le Francisme de Marcel Bucard, sans parler de nombreux groupuscules comme le Mouvement social révolutionnaire (MSR) d’Eugène Deloncle, l’ancien responsable de La Cagoule, la Ligue française de Pierre Constantini. Tous voulaient devenir le « Führer » français d’un parti unique, dans une Europe allemande, pour remplacer le vieux maréchal manquant de fermeté.

La force occupante manipulait ces acteurs afin d’exercer une pression sur Vichy trop traditionaliste. Néanmoins, les gesticulations, les discours enflammés, devant des salles combles, ne la convainquaient pas. Comme ces partis, la LVF n’était pas davantage prise au sérieux par la Wehrmacht qui jugeait les Français comme des combattants inexpérimentés. Dans une salle consacrée à ces ultras, on peut voir le bureau de Jacques Doriot sur lequel sont posés les journaux internes du PPF dont Le Cri du peuple. Le numéro du 1er juin 1942 proclame en une : « Enfin, à dater du 7 juin tous les juifs devront porter bien en vue sur la poitrine une étoile jaune ». Dans une malle « LVF », est rangée l’uniforme du Oberstleutnant Doriot. Un film, tiré des « Actualités mondiales », le montre, transpirant, haranguant la foule, lors d’un meeting du PPF de juillet 1941.

Et le spectacle continue

La collaboration ne fut pas seulement politique mais aussi culturelle. Pour faire oublier les privations et l’occupation du pays, les Allemands mirent l’accent sur l’aspect « européen » de leur action. L’Allemagne n’était qu’un des musiciens – bien que tenant la baguette ! – dans le concert européen pour lutter contre le bolchevisme, les juifs et les francs-maçons, catégories responsables du délitement national. Les nazis, Vichy et les collaborationnistes, tous se retrouvaient sur ces points fondamentaux.

Afin de laisser croire que Paris était toujours Paris, l’occupant souhaitait que le théâtre, le cinéma, l’art, la littérature soient préservés pour donner le change. Les privations s’oubliaient dans les théâtres et les cinémas qui, chaque soir, battaient leur plein. D’ailleurs, les historiens sont unanimes pour reconnaître que cette période fut un âge d’or cinématographique malgré la censure et la pénurie. Les Enfants du paradis, Les Visiteurs du soir de Marcel Carné, Le Corbeau de Henri-Georges Clouzot et La Main du diable de Maurice Tourneur furent tournés pendant ces années-là. Dans l’optique de faire adhérer l’opinion à leurs visions et pour montrer que l’élite soutenait le régime hitlérien, les nazis tentaient de recruter des figures marquantes du monde de la culture. De ce fait, des voyages en Allemagne étaient organisés pour les écrivains, les acteurs, les peintres, les musiciens. Si certains acceptaient par naïveté d’y participer, d’autres y prenaient part par conviction. Ainsi une célèbre photo montre Pierre Drieu La Rochelle, Robert Brasillach, Abel Bonnard, André Fraigneau, entourés d’Allemands, à la gare de l’Est, au retour de leur « voyage d’automne » de 1941.

Cette exposition a comme intérêt de faire découvrir, à travers des salles thématiques, les divers visages que recouvre cette collaboration qu’elle soit politique, idéologique, économique, policière, militaire, culturelle. Ainsi la salle consacrée aux ennemis communs du Reich et de Vichy indique que leur éloignement de la communauté française passait par l’organisation de grandes expositions dont les affiches d’époque témoignent : Le Bolchevisme contre l’Europe, Le Juif et la France, La Franc-maçonnerie fossoyeuse de la paix. Une autre salle passionnante est consacrée à la personne du maréchal Pétain et à l’idolâtrie qu’il suscitait. Des affiches, des objets, à son effigie, le montrent toujours digne dans son uniforme impeccable. On peut y voir son bureau sur lequel repose sa « papeterie » : un stylo plume Waterman gravé à ses initiales, des cartes de visite, etc., et surtout une version du premier statut des juifs annoté de sa main qui témoigne, au dire des spécialistes, qu’il a contribué à l’aggravation de leur situation.

Le terme de « collaboration » fut, pendant longtemps, un mot tabou que l’on ne pouvait plus prononcer, trop chargé idéologiquement. Comme l’a démontré Henry Rousso avec ses ouvrages*, la France a été malade de son passé jusqu’aux années 2000. Depuis, la charge émotive semble moins forte, ce qui a permis d’organiser, pour la première fois, une exposition sur la Collaboration même et non sur les aspects de la vie quotidienne en France occupée.

Didier Saillier

(Février 2015)

* Henry Rousso, Le Syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, 2e éd. revue et mise à jour, Le Seuil, coll. « Points/Histoire », 1990 [1987] ; Henry Rousso et Eric Conan, Vichy, un passé qui ne passe pas, nouvelle éd. augmentée, Gallimard, coll. « Folio/Histoire », 1996 [1994].

Photo : La poignée de main de Montoire du 24 octobre 1940. Au centre : l’interprète Paul Schmidt, à droite : le ministre J. von Ribbentrop. Photo : La Semaine, 7 novembre 1940.

Un critique culturel et littéraire qui écrit sur les œuvres qui l'enthousiasment. « Rien de grand ne se fit jamais sans enthousiasme » Ralph Waldo Emerson (« Société et Solitude ») ; « La plus grande décadence dans ce monde est de perdre son enthousiasme. » H. W. Arnold

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