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Pascal Mallet, Pierre Dac un héros de 14-18 ? Editions Kaléato
Essai,  Histoire

Pierre Dac, l’envers du décor

Après l’exposition du musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme (MAHJ) « Pierre Dac. Le parti d’en rire », du 20 avril au 27 août 2023, un ouvrage de Pascal Mallet, Pierre Dac un héros de 14-18 ?, sorti en mars 2022, évoque l’aspect méconnu de la Grande Guerre de notre futur humoriste.

 

Nous connaissons Pierre Dac pour son humour décapant et absurde, pour son attitude irréprochable pendant la Seconde Guerre mondiale où il mit sa loufoquerie au service de la Résistance, à Radio Londres. Cependant, au hasard de recherches sur Internet, j’ai appris l’existence d’un ouvrage qui remettait en question, non la drôlerie du roi de la loufoquerie, pas plus sa résistance au nazisme, mais la période de la Première Guerre mondiale qui reste une tache aveugle dans le parcours de Pierre Dac.

Un généalogiste

Pascal Mallet, l’auteur de cet ouvrage[1], a fondé un club de généalogie à Figeac dans le département du Lot. Passionné par la Première Guerre mondiale et particulièrement des poilus de Figeac, il a écrit plusieurs ouvrages[2]. Au cours de recherches sur son grand-père maternel qui est mort au front en 1914, il a constaté que Pierre Dac et celui-ci avaient servi au 160e régiment d’infanterie, et c’est ainsi qu’il a découvert que Pierre Dac avait menti à propos de ses actes guerriers.

Pascal Mallet ne se contente pas de dénoncer la mystification, mais apporte des preuves en présentant des documents d’archives que tout le monde peut consulter sur Internet, au premier chef la fiche de matricule de Pierre Dac de trois pages aux Archives de Paris, ainsi qu’un entrefilet éloquent de L’Est républicain du 24 juin 1914.

Fiche matricule

Dans la fiche du matricule de Pierre Dac, nous lisons qu’il fut incorporé le 27 novembre 1913. Il entra à l’hôpital militaire de Toul le 23 juin 1914 et, pendant toute la guerre, il passa d’hôpital en hôpital jusqu’à la fin de la guerre et bénéficia de permissions, de périodes de convalescence dont la dernière était du 6 octobre au 4 novembre 1918. Une semaine après, c’était l’Armistice. Jusqu’à celui-ci, pendant cinq mois, entre deux hospitalisations, il fut affecté au service auxiliaire (bureaux). Que s’est-il donc passé pour que Pierre Dac soit entré à l’hôpital de Toul le 23 juin 1914 ? autrement dit cinq semaines avant que l’Allemagne ne déclarât la guerre à la France, le 3 août 1914. L’Est républicain du 24 juin 1914 répond à la question[3]. Le caporal André Isaac (le futur Pierre Dac), son bras appuyé sur le canon de son fusil Lebel, se serait blessé (volontairement ?) lors d’un exercice à un stand de tir : « le coup parti, la balle traversa le bras du soldat. »

Un héros peu discret

Dans son ouvrage, Pascal Mallet décrit en détail les découvertes qu’il a faites en comparant les propos de Pierre Dac dans les émissions radiophoniques ou télévisées (la « version os-ficielle ») et la réalité têtue extraite des archives. L’autre responsable, selon l’auteur, serait Jacques Pessis, neveu adoptif et légataire universel de Pierre Dac, qui dans sa biographie Pierre Dac mon maître 63 et d’autres ouvrages, a romancé la période de guerre de son oncle adoptif. Celui-ci aurait été blessé deux fois, la première, en 1915, un éclat d’obus lui aurait raccourci le bras de douze centimètres. En apprenant la mort de son frère, en octobre 1915, il aurait demandé à retourner au combat et serait devenu « nettoyeur de tranchées » (celui qui tue à la grenade et au couteau les survivants) ; en 1917, un éclat d’obus lui aurait brisé la cuisse, mettant ainsi un terme à sa guerre. Une croix de guerre et cinq citations complètent sa brillante campagne militaire, décoration qu’il porta indûment sur ses costumes et treillis de 1940 à 1946, avant de recevoir – cette fois-ci méritée – la Légion d’honneur, la croix de guerre 39-45 et la médaille de la Résistance.

Une nouvelle loufoquerie ?

On peut se demander pourquoi Pierre Dac a inventé un tel parcours. D’abord, parce qu’il est plus glorieux de combattre plutôt que de passer la guerre dans les hôpitaux ; ensuite, l’antisémitisme étant important dans la première moitié du xxe siècle, il aurait pu craindre qu’on l’accusât d’être un « planqué » pendant que les copains se faisaient tuer. Une autre explication plus générale serait que beaucoup d’artistes sont des mythomanes, des affabulateurs qui s’inventent des vies plus intéressantes qu’elles le sont réellement.

Si Pierre Dac a « inventé » sa Grande Guerre de toutes pièces, en revanche lors de la Deuxième Guerre mondiale, il fut impeccable et c’est peut-être là l’essentiel. Combattre « Adolphe » et ses zélateurs vichystes, dans L’Os à moelle puis à Radio Londres, est plus important que d’avoir menti sur sa guerre de 14-18. De plus, ses mensonges n’enlèvent rien au fait qu’il fut le « roi des loufoques » et qu’il réjouissait ses contemporains.

L’ouvrage de Pascal Mallet est particulièrement réussi. L’iconographie est riche et abondante et vient soutenir, en tant que preuve, les propos toujours pédagogiques. Pas à pas, nous découvrons la supercherie et, de ce fait, la vérité. Toutes les affirmations fausses et les incohérences de Pierre Dac et de Jacques Pessis sont passées au crible des archives. L’enquête est un véritable travail de détective.

Didier Saillier

(Juillet-août 2023)

Pascal Mallet, Un héros de 14-18 ?, Éditions Kaléato, 2022, 130 p., 14,90 €.

[1] Pierre Dac un héros de 14-18 ? est disponible sur le site des Éditions Kaléato :  www.editions-kaleato.fr

[2] Pascal Mallet, La Grande Guerre – les poilus de Figeac, Éditions Kaléato, 2020 ; Georges Mallet, Un passant du xxe siècle (édition établie par Pascal Mallet), tome 1 (1912-1938), tome 2 (1938-1941), 2021, tome 3 (1941-1950), 2022, tome 4 (1951-1999), à paraître en 2024, Éditions Kaléato.

[3] Voir la fiche matricule militaire sur le site des « Archives de Paris » :

https://archives.paris.fr/arkotheque/visionneuse/visionneuse.php?arko=YTo2OntzOjQ6ImRhdGUiO3M6MTA6IjIwMjItMTAtMjQiO3M6MTA6InR5cGVfZm9uZHMiO3M6MTE6ImFya29fc2VyaWVsIjtzOjQ6InJlZjEiO2k6MTc7czo0OiJyZWYyIjtpOjE2NTIzODk7czoxNjoidmlzaW9ubmV1c2VfaHRtbCI7YjoxO3M6MjE6InZpc2lvbm5ldXNlX2h0bWxfbW9kZSI7czo0OiJwcm9kIjt9#uielem_move=0%2C0&uielem_islocked=0&uielem_zoom=100&uielem_brightness=0&uielem_contrast=0&uielem_isinverted=0&uielem_rotate=F

et l’entrefilet de L’Est républicain  sur le site « Gallica » de la BNF : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k7495494v/f4.item.zoom

Illustration de couverture de l’ouvrage de Pascal Mallet par Jean-Christophe Vergne.

Un critique culturel et littéraire qui écrit sur les œuvres qui l'enthousiasment. « Rien de grand ne se fit jamais sans enthousiasme » Ralph Waldo Emerson (« Société et Solitude ») ; « La plus grande décadence dans ce monde est de perdre son enthousiasme. » H. W. Arnold

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