La marge du temps, un blog culturel et littéraire
Le métro en mouvement. Grand Paris Express.
Exposition

Le métro, toujours aussi moderne !

La Cité de l’architecture et du patrimoine, place du Trocadéro à Paris XVIe, et la Société du Grand Paris organisent l’exposition « Métro ! Le Grand Paris en mouvement », du 8 novembre 2023 au 2 juin 2024. Des projets de métro à la fin du XIXe siècle aux premières gares modernes du Grand Paris Express réalisées par des binômes architecte-artiste. Des plans, des schémas, des maquettes, des photos, des archives filmiques pour expliquer que le métro sera toujours moderne…

 

Le métro, à la fin du xixe siècle, était une invention d’une grande modernité. Un train qui passait en dessous de la ville, c’était tout simplement une performance, mais qui suscitait aussi des inquiétudes : voyager dans les sous-sols n’était-ce pas dangereux ? Paris ne fut pas la première ville à bénéficier d’un métropolitain, elle fut devancée par Londres en 1863, Chicago en 1892 et Budapest en 1894. Pour autant, peut-on affirmer que Paris avait un métro de retard ? New York avait bien essayé un embryon de métro en 1869 qui passait sous Broadway (Beach Pneumatic Transit), sur à peine cent mètres de longueur… Il fallut attendre 1904 pour qu’un véritable métro desservît New York.

Omnibus  traction hippomobile

Avant l’installation de la première ligne du métro parisien, à la fin du xixe siècle, les transports en commun disponibles étaient des omnibus à traction hippomobile, qui pouvaient contenir entre vingt-six et quarante places selon les modèles ; quarante-sept lignes couvraient Paris intra-muros et s’arrêtaient à l’enceinte de Thiers, ce que l’on nommait plus communément les fortifications ou les « fortifs » auxquelles Fréhel rendit hommage en 1938 : «  Il n’y a plus de fortifications / Ni de p’tits bistrots de barrière / Adieu décor de toutes les chansons / Des jolies chansons de naguère ». Pour compléter le réseau des omnibus, des lignes de tramway circulaient à l’intérieur de Paname, mais aussi allaient en direction de la banlieue proche. Enfin, un réseau de voies ferrées faisait le tour de Paris – la « petite ceinture ».

Une archive filmique montre la place de l’Opéra (1897) et les grands magasins du Louvre (1900-1910) : la circulation était déjà d’une grande densité en raison du trafic des calèches, charrettes, omnibus, bicyclettes… Depuis le milieu du xixe siècle, était envisagée la construction d’un métro, mais il fallut plus de quarante ans pour que l’idée devînt réalité. Alors, en 1895, l’État autorisa la municipalité à construire « un chemin de fer métropolitain à caractère local », qui s’arrêterait aux portes de Paris : les fortifications étaient une barrière psychologique.

Porte de Vincennes – porte Maillot

C’est le projet de « chemin de fer à traction électrique » de Fulgence Bienvenüe, architecte de la ville de Paris, qui fut retenu en 1897. Mais il fallait faire vite, car en 1900 une exposition universelle aurait lieu à Paris et non seulement il convenait de transporter les visiteurs venus du monde entier, mais surtout de montrer que la technologie française était à la hauteur. Malheureusement, l’inauguration du métro, à Vincennes, eut lieu le 1er juillet 1900, deux mois et demi après celle de l’exposition…

L’argent étant le nerf de la guerre, la municipalité lança un emprunt obligataire pour la construction de la première ligne, qui traversait Paris d’est en ouest, de la porte de Vincennes à la porte Maillot, distantes l’une de l’autre de dix kilomètres. Vingt mois furent nécessaires pour atteindre l’objectif, ce qui paraît incroyablement rapide, vu les difficultés pour creuser un souterrain aussi long et encombré d’obstacles divers, comme les canalisations d’eau et de gaz, les câbles électriques, les réseaux d’égout, puis aménager l’intérieur des stations et les entrées extérieures. Les cinq lignes suivantes, entreprises sous la direction de Fulgence Bienvenüe, furent réalisées et mises en exploitation progressivement jusqu’en 1909.

Forer un souterrain

Mais avant de prendre le métro et de s’en réjouir, il faut d’abord le construire ! Comment forer un souterrain ? Deux techniques furent utilisées : la première – employée de 1900 à 1960 – est la méthode dite « franco-belge » de la galerie boisée, empruntée des mines de charbon. Pendant que les ouvriers percent la terre à la pioche, on entoure la galerie de bois afin de soutenir la voute et l’empêcher de s’effondrer. Puis on la maçonne. Une archive filmique, datant de 1930, montre que le travail est effectué à la force de l’homme, ce qui impressionne. Même si c’est une exposition d’ordre technique, quelques toiles nous sont présentées comme illustration de ce travail de Titan. Gaston Brun (1873-1918) choisit une scène de genre ayant pour titre Les Travaux de la ligne 1 du métropolitain ; tranchée sous la place de l’Étoile : deux ouvriers, torses nus transpirants, à l’aspect de mineurs, percent la terre à la pioche, éclairés par une lumière blafarde.

La seconde technique est le « bouclier », composé de trente-six cellules dans lesquelles les ouvriers travaillent et avancent en toute sécurité. Quand c’est possible, on creuse au plus près de la surface, mais souvent, il convient de percer profondément pour éviter les sols friables, comme à l’unique station de la butte Montmartre, Abbesses, où il fallut creuser trente et un mètres pour passer en dessous des anciennes carrières de gypse.

Hector Guimard

Une fois le tunnel construit et avoir installé en surface un tablier métallique pour supporter le poids du trafic dans les zones creusées « à fleur de sol », c’est au tour de l’aménagement intérieur des stations : le carrelage est blanc, hygiénique et lumineux. Mais ce qui retient l’attention des contemporains, ce sont les entrées extérieures d’Hector Guimard. La Compagnie de chemin de fer métropolitain de Paris (CMP) – l’ancêtre de la RATP – avait lancé un « concours des édicules d’accès aux stations », mais finalement la direction insatisfaite des projets proposés se tourna vers le célèbre architecte, résolument moderne, Hector Guimard, le chantre de l’Art nouveau. Le visiteur peut admirer une verrine d’éclairage, en verre coloré dans la masse rouge orangé, qui ornait les deux candélabres dits « brins de muguet ».

Dans l’esprit de la CMP, étant donné que les rames s’enfonçant dans les sous-sols inquiétaient les futurs usagers, il fallait que les bouches de métro apaisent et soient une invitation au voyage, à pénétrer dans un souterrain accueillant et non dans les Enfers où règnent le dieu chtonien Hadès et son épouse la déesse Perséphone. Guimard, avec ses dessins représentant la flore et la faune (la « rassurante nature »), était le candidat approprié. Cependant, l’architecte trop moderne, trop inventif, avait aussi des détracteurs qui considéraient que ses édicules[1] ridicules ne s’harmonisaient pas avec l’environnement architectural.

Ainsi pour la station Opéra, on préféra Joseph Cassien-Bernard qui proposa un entourage en pierre de taille de style néoclassique qui avait pour mérite d’être sobre et de s’harmoniser avec l’opéra Garnier. Un article du Figaro de 1904 donne son aval : « On a renoncé à déshonorer la place de l’Opéra avec ces rampes contorsionnées, ces lampadaires bossus qui signalent par d’énormes yeux de grenouilles les autres stations du métropolitain. Celle-ci est entourée d’une simple balustrade en pierre polie […] en parfaite harmonie avec la façade de l’Académie de musique. »

Grand Paris Express

Le 1er janvier 1921, le conseil municipal de Paris évoqua déjà la nécessité d’un Grand Paris : « L’accroissement presque continu des agglomérations suburbaines qu’accélèrera sans doute le démantèlement des fortifications, la soudure inévitable de ces agglomérations qui, tôt ou tard, amènera la formation d’un plus grand Paris, appelleront forcément l’extension du métropolitain dans la banlieue. » Le programme fut réalisé à partir de 1934, la ligne 9 sortit de Paris intramuros et rejoignit la station Pont de Sèvres à Boulogne-Billancourt.

En 1965 fut mis en place le « schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de la région parisienne » qui imagina l’Île-de-France vers l’an 2000 habitée par 14 millions d’habitants (en réalité 11 millions) nécessitant de nouveaux équipements. Dans le schéma directeur était prévue, autour de Paris, la fondation de villes nouvelles : Cergy-Pontoise (1969), Évry (1969), Saint-Quentin-en-Yvelines (1970), Marne-la-Vallée (1972), Sénart (1973) ainsi que la création de trois lignes d’un « métro express régional » qui deviendra en 1977 le « réseau express régional d’Île-de-France », communément appelé RER.

En 2011, le Grand Paris Express (GPE) fut déclenché après la loi du 3 juin 2010 instituant le Grand Paris pour concurrencer les grandes métropoles mondiales. Alors qu’auparavant les habitants de banlieue qui souhaitaient se rendre dans une autre ville de l’Île-de-France en RER ou en métro devaient passer impérativement par Paris, avec le GPE fut introduite l’idée novatrice de joindre les villes entre elles afin d’éviter les détours parisiens entraînant perte de temps, d’énergie et fatigue. Pour cela sera prolongées la ligne 14 au nord comme au sud, ainsi que la ligne 11 à l’est et, surtout, seront construites quatre nouvelles lignes de métro sillonnant la banlieue.

Binôme architecte-artiste

Soixante-huit nouvelles gares seront ou sont déjà construites, l’exposition nous en présente dix-sept. Pour chaque projet de gare est nommé un binôme composé d’un architecte et d’un artiste. Des quartiers se développeront autour de chaque gare selon un cahier des charges où l’architecture, l’espace public et les paysages répondront aux enjeux écologiques de notre temps. Les projets de gares, dont nous voyons les maquettes, les plans et les photos, ont chacune une architecture distinctive et les artistes pour décorer l’intérieur ou l’extérieure des gares prennent en considération l’histoire de la ville et ses particularités. La mobilité se veut la solution de l’urbanisme contemporain, ce qui fait du Grand Paris un grand pari sur l’avenir.

L’exposition, composée en deux parties, décrit d’abord l’histoire du métro parisien – une véritable aventure digne des romans de Jules Verne – en décrivant les difficultés rencontrées par les entreprises de travaux publics et les ingénieurs de la municipalité pour se frayer un passage sous terre et aussi les difficultés insolubles pour passer en dessous de la Seine (sauf le RER A, la ligne 4, aux stations Cité et Saint-Michel, et la ligne 10, sous le pont Mirabeau, qui y parvinrent) et franchir les voies ferrées des gares du Nord et de l’Est, ce qui conduisit à créer des stations aériennes. L’autre partie de l’exposition, importante en superficie, est consacrée à l’histoire récente, et toujours en cours, du Grand Paris Express qui améliorera la vie quotidienne des Franciliens.

Didier Saillier

[1] « Petit bâtiment élevé sur la voie publique (colonne Morris, toilettes, etc.). » Petit Larousse.

Illustration : Crédit BIG & Silvo d’Ascia – Gare Pont de Bondy depuis l’entrée principale. Station de métro emblématique de la ligne 15 Est du Grand Paris Express. Bondy, France. 2030.

Un critique culturel et littéraire qui écrit sur les œuvres qui l'enthousiasment. « Rien de grand ne se fit jamais sans enthousiasme » Ralph Waldo Emerson (« Société et Solitude ») ; « La plus grande décadence dans ce monde est de perdre son enthousiasme. » H. W. Arnold

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