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Exposition,  Histoire

La franc-maçonnerie, entre fantasmes et Histoire

La Bibliothèque nationale de France consacre une exposition à la « Franc-maçonnerie » du 12 avril au 24 juillet 2016. Une collection de 450 pièces : objets, ouvrages, lettres, photos, affiches, peintures, illustrations, qui émane de la BNF, mais aussi des diverses obédiences franc-maçonnes françaises et étrangères. À noter également que le Musée de la franc-maçonnerie, sis à l’hôtel du Grand Orient de France, rue Cadet Paris IXe, consacre une autre exposition aux « Templiers et francs-maçons – de la légende à l’histoire » du 12 avril au 23 octobre 2016.

 

Lorsque l’on évoque la franc-maçonnerie, une image se dessine : une société secrète exerçant une influence sur les décisions politiques et, plus largement, sur la marche du monde. Crainte qui fit de cette confrérie l’ennemi du régime de Vichy, au même titre que les Juifs et les communistes. D’ailleurs, les magazines font régulièrement leur « une » sur le « culte du secret », le « mystère », le « pouvoir » des francs-maçons. Que les hommes politiques en soient membres n’est pas neuf. Déjà, lors des débuts de la Troisième République, les grandes figures (Léon Gambetta, Jules Simon, Jules Ferry, Arthur Groussier, Émile Combes…) y appartenaient et diffusaient dans la société les valeurs franc-maçonnes d’éducation, de tolérance, de progrès social et d’émancipation humaine. Certains des adeptes actuels se réfèrent encore à cette période héroïque où la République et cette école de pensée se confondaient. En effet, lors d’une porte ouverte au Musée de la franc-maçonnerie, je constatais que certains frères ressemblaient, à s’y méprendre, aux Républicains de la fin du XIXe siècle avec leurs favoris et leurs vêtements d’un autre âge.

Cette exposition est destinée aux gentils, c’est-à-dire à ceux qui ne sont pas membres de l’association et qui ignorent l’activité et la philosophie de cette dernière. C’est pourquoi, elle se veut pédagogique. Le parcours est en quatre parties : « La quête des origines », « Initiation, rites et symboles », « La franc-maçonnerie au service des idées nouvelles » et « Imaginaires maçonniques ». Toutefois, avant de parcourir le chemin initiatique, au seuil de l’entrée, des chiffres nous donnent un aperçu du fait maçonnique aujourd’hui en France. Ainsi, il y a 6 500 loges réparties en 15 obédiences. Sur 150 000 membres, 52 000 appartiennent au Grand Orient de France (1 200 loges), 34 000 à la Grande Loge de France (900 loges), 27 000 à la Grande Loge nationale française (1 200 loges). Sur 30 000 franc-maçonnes, 14 000 sont adhérentes à la Grande Loge féminine (450 loges). Comme on peut le constater, la maçonnerie est dispersée.

Histoire

La franc-maçonnerie moderne naquit au XVIIIe siècle. Cependant les origines prirent leurs sources sur les chantiers des cathédrales du Moyen Âge. Les « maçons » (des architectes) se réunirent dans des sociétés de métiers et se dotèrent de règlements et d’histoires légendaires empruntées à la Bible. La légende fondatrice est liée à la construction du Temple de Salomon à Jérusalem. Celui-ci le fit construire d’après les indications que Dieu délivra à son père, le roi David. Le temple est reproduit dans l’ouvrage Mare historiarum (XVe siècle) de Johannes de Columna, illustré d’enluminures, que l’on peut observer dans une vitrine. Au-delà de cette légende, ces hommes recherchaient dans la Bible des éléments, en lien avec leur métier, pour leur servir de modèle de vie. L’art de bâtir n’était pas seulement matériel mais aussi d’ordre spirituel, c’est ainsi que l’équerre et le compas devinrent, en 1730, les symboles de la confrérie. Au milieu de la première salle, dans un grand cube en verre, sont disposés ces outils symboliques, mais aussi des ciseaux, un maillet, une scie et des blocs de pierre, ensemble qui façonna l’imaginaire maçonnique. En travaillant la pierre brute, l’apprenti élaborait à la fois des pièces matérielles et son identité grâce à un travail sur soi.

À la fin du XVIe siècle, en Écosse, la confrérie se transforma en associations de rencontres et de réflexions dans lesquelles étaient reçus des clients importants, des pasteurs, des notables, des personnes étrangères au métier. Une distinction se fit alors entre les maçons « acceptés » ou « spéculatifs », qui s’engageaient symboliquement, et les maçons « opératifs » qui taillaient la pierre. Au fil du temps, certaines loges ne rassemblaient plus que des maçons « acceptés », dits aussi « gentilshommes maçons ». En 1717, des membres se regroupèrent pour former la première Grande Loge « de Londres et de Westminster ». C’est le point de départ de la franc-maçonnerie moderne. Dans The Constitution of the Free Masons de James Anderson, ouvrage de 1723, on trouve l’histoire légendaire des anciens devoirs médiévaux ainsi que de nouveaux règlements édictés comme celui de la liberté de connaissance. En 1725, à Paris, fut fondée la première loge française, puis d’autres essaimèrent en Europe. Le succès fut foudroyant. Un manuscrit nous présente la liste des membres de la loge Coustos-Villeroy (du nom de son animateur, un bijoutier), qui fut saisie par la police. Parmi les adeptes, il y avait des Français, mais aussi des Allemands, des Scandinaves et un dénommé Bontemps, valet de chambre et ami de Louis XV ! Détail plaisant qui ne doit pas laisser accroire que les classes inférieures étaient représentées à égalité dans les loges. En effet, la plupart des membres étaient issus de la bourgeoisie éclairée et surtout de la noblesse libérale. Les deux premiers grands maîtres de la Grande Loge de France appartenaient à l’aristocratie : le 2e duc d’Antin (1738-1743) et le comte de Clermont, petit-fils de Louis XIV (1743-1771).

Rites et symboles

L’aspect le plus ésotérique, pour un gentil, relève des rites et des symboles. Chaque initiation, pour les trois premiers grades (Apprenti, Compagnon et Maître) comme pour les « hauts grades », est conférée par un rite qui varie selon les obédiences, les loges et les grades. Une bonne dizaine de rites sont pratiqués à travers le monde. Dans tous les cas de figure, le récipiendaire passe, par la lecture et le jeu, des épreuves symboliques pour se dépouiller du « vieil homme » et renaître. Les symboles sont le support de la méditation qui permet d’accéder aux profondeurs de la psyché. Ainsi l’initié porte un nouveau regard sur lui-même et sur la réalité qui l’entoure. Ces symboles ont des significations différentes selon le grade. Ainsi le sol de la loge, pavé de losanges blancs et noirs, symbolise la fraternité. Alors que, pour les hauts grades, il signifie l’harmonie par les contraires. L’œil représente la lumière, la connaissance, le Grand Architecte de l’Univers. L’équerre, la rectitude, le compas, le discernement. Sur le cadran d’une montre à gousset, on distingue l’ensemble des symboles : un pavé en mosaïque blanche et noire sous une pyramide ornée de « l’œil qui voit tout ».

Bien que l’enseignement soit réservé aux initiés, tous n’accèdent pas à la lumière. Les « secrets », en effet ne sont pas livrés clé en main, mais se révèlent progressivement, au fil de l’expérience, qui est, selon Louis-Ferdinand Céline, « une lanterne sourde qui n’éclaire que celui qui la porte. » Giacomo Casanova, qui fut initié en juin 1750 dans la loge du comte de Clermont, écrit dans Histoire de ma vie (1789-1798) : « Le secret de la maçonnerie est inviolable par sa propre nature, puisque le maçon qui le sait ne le sait que pour l’avoir deviné. » Casanova, dans un autre passage de ses mémoires, résume le projet des francs-maçons : « Il n’y a pas d’homme qui parvienne à savoir tout, mais tout homme doit aspirer à tout savoir. » Comme on le constate, l’ambition franc-maçonne est gigantesque mais ô combien stimulante.

Cette exposition, d’une grande richesse, qui tente, sans toujours y parvenir, à dégager pour le gentil le sens maçonnique, dépasse les limites de cette recension. Il conviendrait d’évoquer aussi l’influence maçonnique dans l’imaginaire artistique. Ainsi Mozart, un initié, composa son opéra La Flûte enchantée avec pour thème le combat de la lumière contre la nuit, thème maçonnique s’il en est.

Didier Saillier

(Mai 2016)

Un critique culturel et littéraire qui écrit sur les œuvres qui l'enthousiasment. « Rien de grand ne se fit jamais sans enthousiasme » Ralph Waldo Emerson (« Société et Solitude ») ; « La plus grande décadence dans ce monde est de perdre son enthousiasme. » H. W. Arnold

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