Le film américain « Licorice Pizza » de Paul Thomas Anderson est sorti le 5 janvier 2022 sur les écrans français. Un récit initiatique qui se passe en 1973, année qui clôt la période de l’insouciance et ouvre le début de la crise économique.
Ce qui est essentiel en matière d’art, c’est d’être juste, de faire en sorte que « ça tombe bien », pour reprendre le vocabulaire des couturiers, de trouver un ton singulier. Reprendre un thème qui a été dépeint, décrit, en l’occurrence filmé, depuis les débuts du cinéma, et réussir à lui donner une expression de nouveauté est une prouesse qu’a réussie le cinéaste américain Paul Thomas Anderson.
Licorice Pizza[1] a pour thème l’adolescence, la jeunesse, les teenagers. Un thème rebattu, comme l’amour, qui a été labouré des dizaines de milliers de fois au cinéma, et pourtant le metteur en scène apporte une différence. Ce film lumineux démontre que l’originalité en matière artistique ne provient pas de son thème, de son sujet, mais de la manière de le traiter ; de mettre davantage l’accent sur le dire que sur le dit. On appelle cela le style, le ton, la manière, la façon, le tour.
Tous les garçons et les filles
Licorice Pizza commence par l’histoire qui sera développée tout le long du film. Dans une cour de lycée, un adolescent de quinze ans, Gary Valentine (Cooper Hoffman) éprouve un coup de foudre pour l’assistante d’un photographe, de vingt-cinq ans, Alana Kaine (Alana Haim) qu’il rencontre lors de la traditionnelle photo de classe. Gary possède une énergie et une confiance extravagantes ; il est persuadé qu’il parviendra à la séduire. Pourtant, il n’a pas un physique de rêve : il est un brin grassouillet et a une peau à tendance acnéique, toutefois il a un charme fou et il est décontracté.
Tout le long du film, Alana sermonne l’adolescent : « Tu sais que l’on n’est pas ensemble ? » Et pourtant, c’est le règne de la confusion des sentiments. L’un et l’autre alternativement ou simultanément se sentent attirés l’un par l’autre. Alana résiste, car la différence d’âge semble rédhibitoire, et se tourne vers des garçons plus âgés, seulement ses relations avec ceux-ci sont des flops. À vingt-cinq ans, elle est une adolescente attardée, vivant avec ses parents et ses deux sœurs aînées qui, tous réunis, la briment dans ses tentatives d’émancipation. Le plus âgé des deux personnages n’est pas celui que l’on croit.
Un « show man »
En revanche, Gary est déjà autonome dans la vie. Jeune acteur, il passe des castings, joue dans des spectacles télévisés, a tourné dans des films, ce qui en fait une vedette dans son quartier, situé dans la vallée de San Fernando où l’industrie cinématographique, tout proche d’Hollywood, était florissante. Comme Gary le déclare, depuis sa plus tendre enfance, il se sent l’âme d’un « show man », qualité qui lui sert dans sa vie personnelle. Parallèlement à sa carrière d’acteur, il se lance dans les affaires en vendant des matelas à eau – faisant d’Alana son assistante – puis ouvre une salle de flippers. Et tout ça à quinze ans !
Paul Thomas Anderson, né en 1970, ne raconte pas ses années d’adolescence, mais éprouve une fascination pour les débuts de cette décennie où la Californie était si « cool ». D’ailleurs, la musique joue un rôle déterminant, en plus du décor et des vêtements, pour suggérer les seventies, même si certaines chansons furent créées lors des années précédentes : David Bowie ; Paul McCartney and Wings ; Blood, Sweat, and Tears ; Taj Mahal ; Sonny and Cher, Nina Simone, Chuck Berry, Bing Crosby… L’action se passe en 1973, année qui n’est pas nommée, mais que l’on parvient à repérer grâce au discours de Richard Nixon annonçant, en octobre, à la télévision le début du premier choc pétrolier. Fini la légèreté de l’être : les États-Unis et le monde allaient passer aux années de crise.
Un regard ironique
Le film, en forme de chapitres, est un regard ironique posé sur l’univers du cinéma dans lequel les personnes de ce milieu sont hautes en couleur. Avec l’agent artistique de Gary, il convient d’affirmer, sans hésitation, que l’on possède tous les savoir-faire. Alana, à la suite d’une audition, rencontre Jack Holden (Sean Penn), une star en représentation perpétuelle, même en dehors des plateaux. Elle ignore si les paroles de l’acteur sont en situation ou appartiennent aux dialogues des films dans lesquels il a joué. Jack Holden et son copain Rex Blau, le metteur en scène (Tom Waits), sont imbibés d’alcool et délirent joyeusement.
Filmée en travelings, la course ponctue le film. Seuls ou ensemble, les personnages courent sur des musiques rythmiquement adaptées. Elle vient signifier le désir de vivre, de se rencontrer, d’aimer, de mouvoir son corps, d’être libre.
Didier Saillier
(Janvier 2022)
[1] Le titre provient de « Licorice Pizza », une chaîne de magasins de disques en Californie dans les années 1970. Le disque vinyle ressemblait à une pizza en réglisse.
Photogramme du film « Licorice Pizza » de Paul Thomas Anderson. Alana Haim (Alana) et Cooper Hoffman (Gary).