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Arts plastiques,  Exposition

L’exposition universelle : l’esprit 1900

Au Petit Palais, bâtiment qui abrite le musée des Beaux-arts de la Ville de Paris depuis 1902, a lieu l’exposition « Paris 1900, la ville spectacle », du 2 avril au 17 août 2014. Celle-ci met en scène la célèbre Exposition universelle, organisée pour fêter l’arrivée du nouveau siècle, mais aussi l’« esprit 1900 » dans lequel s’incarna le mouvement artistique l’Art nouveau. Plus de 600 œuvres sont présentées : peintures, sculptures, objets d’art, bijoux, costumes, ouvrages, revues, affiches, photographies, objets d’époque, meubles, maquettes…

 

Les changements de siècle produisent chez les êtres humains un sentiment de crainte mêlé à une attente joyeuse. La « centaine ronde » ne va-t-elle pas déclencher une catastrophe ? Voire la fin du monde ? Les plus optimistes y voient une régénération des temps et une bonne occasion de faire la fête. Ce passage permet à la fois de récapituler le siècle passé, de faire le point sur le présent et d’ouvrir des perspectives. Quoi de mieux pour accueillir le xxe siècle qu’organiser une Exposition universelle.

Conçues, dès le mitan du xixe siècle, pour promouvoir le progrès technique, les Expositions universelles naquirent dans le contexte de la révolution industrielle et sont une vitrine exceptionnelle. Ainsi en organisant un tel événement, en 1900, la France s’autoproclame centre du monde. Avis que les étrangers partagent lorsqu’il s’agit d’art (un peintre se doit de s’installer à Paris), de mode, de parfum, de gastronomie, d’art de vie et d’amusement.

La cinquième exposition universelle

La France aime les expositions universelles pour se prouver que sa technologie est la meilleure ; le progrès qu’il soit industriel ou artistique est à Paris. C’est la cinquième fois qu’elle en organise une, après celles de 1855, 1867, 1878 et 1889. Celle de 1900, qui accueillera plus de 50 millions de visiteurs d’avril à novembre, se doit d’être grandiose. Pour cela, il convient de repenser l’urbanisme pour permettre une circulation fluide, ouvrir des voies d’accès. On décide de construire ou de rénover des gares (Lyon, Invalides, Orsay), on érige le pont Alexandre III, dont Nicolas II, le tsar russe, posa la première pierre, on se presse d’achever la première ligne du métropolitain (porte de Vincennes – porte Maillot) qui ouvrira finalement trois mois après l’inauguration.

Pour accueillir les attractions et autres spectacles, pour exposer les inventions et les œuvres artistiques, il convient d’édifier une multitude de bâtiments sur 112 hectares, entre la Concorde et le Trocadéro, entre le Champ-de-Mars et les Invalides et sur les 104 hectares du bois de Vincennes. Ainsi s’érigent le Grand Palais et le Petit Palais et des constructions à la durée de vie provisoire : pavillons pour les pays étrangers, palais de l’Agriculture et de l’Alimentation, palais de l’Électricité, un des plus courus avec le palais de l’Optique (avec sa lunette astronomique de 120 mètres de long qui permet de contempler la lune à une distance de 67 kilomètres). Sur l’ensemble des projets, beaucoup ne furent pas retenus dont un – heureusement – prévoyant de détruire le troisième niveau de la tour Eiffel et y adjoindre sur les côtés des tourelles du plus mauvais effet !

Cette exposition du Petit Palais n’est pas uniquement axée sur cet événement international, mais cherche à saisir les modes, les écoles artistiques, les lieux, l’esprit des derniers feux de la Belle Époque. On s’aperçoit, comme beaucoup d’historiens l’affirment depuis longtemps, que 1900 n’est pas encore le vingtième siècle, si l’on en juge par l’esthétique de ses productions.

L’Art nouveau, un art du xixe siècle

L’Art nouveau, où une salle entière lui est consacrée, est bien un art du xixe siècle où ses formes arrondies, ses entrelacements s’inspirent de la nature, des végétaux, des insectes, des coquillages pour s’opposer à l’industrialisation en pleine expansion. Tous les supports son ornementés par son style : papiers peints, peignes, porcelaines, bijoux, vêtements, meubles, affiches, sculptures. Courant international, l’Art nouveau aura laissé peu de traces dans l’urbanisme et l’architecture parisiens, à part les célèbres bouches de métro d’Hector Guimard. Il faudra attendre, pour entrer de plain-pied dans le siècle suivant, l’éclosion des avant-gardes au cours de la Première Guerre mondiale.

En peinture (une salle lui est consacrée), se côtoie une variété d’écoles. La peinture historique se survit ; la réaliste cherche à perdurer ; la symboliste vit un regain de succès, tandis que l’impressionnisme bénéficie de la reconnaissance publique. S’il n’y a pas à cette époque de nouveauté, à part l’Art nouveau qui investit tous les domaines de l’art appliqué, mais modérément la peinture, il faut attendre encore quelques années pour voir naître des mouvements picturaux comme le fauvisme, le cubisme, le futurisme. Bien sûr des grands peintres sont encore en pleine activité en 1900 : Cézanne, Renoir, Pissarro, Sisley, Monet, tous membres de l’impressionnisme.

Le cinématographe, un art du xxe siècle

En revanche, on peut considérer qu’une des inventions appartenant au vingtième siècle, a été créée au dix-neuvième, en 1895. En effet, le cinématographe inventé par les frères Lumière, a connu un essor considérable au cours du siècle suivant. D’abord objet de foire et de music-hall, il a su s’éloigner du théâtre pour devenir un art spécifique, recourant à une syntaxe particulière pour montrer la réalité ou pour entrer dans le rêve et la fiction.

Dans l’exposition de 2014 du Petit Palais – comme dans celle de 1900 – le cinématographe Lumière est a l’honneur, où des écrans placés dans les couloirs reliant les « pavillons », projettent des « vues » de l’Exposition universelle où messieurs en haut-de-forme et grandes moustaches, et dames vêtues de robes ornementées et portant chapeaux à plumes, jettent des coups d’œil étonnés vers l’objectif. Ce qui est assez incroyable est d’apprendre que, quatre-vingt-dix ans avant le Futuroscope, le « Cinéorama » fut conçu pour donner l’illusion au spectateur, monté dans une nacelle de dirigeable, de voyager dans les airs à partir de plusieurs projections circulaires d’images animées.

Les Parisiennes

Le fil rouge qui court le long de l’exposition du Petit Palais est la Parisienne. Depuis le Second Empire cette figure s’impose dans l’imaginaire des étrangers et des provinciaux. Qu’elle soit bourgeoise, cocotte ou midinette, elle est orfèvre dans l’élégance vestimentaire comme dans ses attitudes empreintes de séduction. N’est-ce pas d’ailleurs symbolique que soit installée au sommet de la porte Binet, place de la Concorde, une statue nommée « La Parisienne » comme si elle exprimait Paris mieux que la technologie pourtant mise à l’honneur à l’Exposition universelle. Les visiteurs venus du monde entier espèrent la rencontrer dans les lieux d’amusement à la réputation sulfureuse. En effet, les cafés-concerts, les revues célèbres du Moulin rouge ou des Folies-Bergère ne désemplissent pas. Sans compter les maisons closes de luxe tenues par un personnel irréprochable (voir Le Chabanais où le prince de Galles, futur Édouard VII, avait son rond de serviette). « Paris (qui est une blonde affirmait Mistinguett), ville du plaisir, du raffinement, du luxe, du bonheur de vivre, est un rêve inventé pour l’exportation.

L’exposition du Petit Palais, d’une grande richesse (même trop : quatre heures de visite au minimum pour être un visiteur sérieux), permet de voir des objets exceptionnels de l’Art nouveau : des bijoux, des robes, des œuvres d’Alfons Mucha (La Nature, une sculpture en bronze doré et argenté ; une affiche dessinée pour la pièce d’Alfred de Musset Lorenzaccio) et la série de statuettes d’Agathon Léonard : « six danseuses de surtout de table » en biscuit de porcelaine d’une grande finesse. Malgré tout, on peut émettre une réserve. Cette exposition manque d’ambition pédagogique et historique, en ne situant pas l’année 1900 par rapport aux autres époques. Combien de temps a duré l’« esprit 1900 » ? À quel moment la France a-t-elle perdu sa prépondérance dans le concert mondial ? Absences de réponses qui néanmoins n’empêchent pas d’apprécier cette belle exposition.

Didier Saillier

(Mai 2014)

Photo : Exposition universelle 1900. L’entrée monumentale place de la Concorde, Bibliothèque nationale de France.

Un critique culturel et littéraire qui écrit sur les œuvres qui l'enthousiasment. « Rien de grand ne se fit jamais sans enthousiasme » Ralph Waldo Emerson (« Société et Solitude ») ; « La plus grande décadence dans ce monde est de perdre son enthousiasme. » H. W. Arnold

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