La marge du temps, un blog culturel et littéraire
Astérix, notre ancêtre le Gaulois
Arts plastiques,  Jeunesse

Astérix, notre ancêtre le Gaulois

Le 23 octobre 2025, est sorti un nouvel Astérix réalisé par le tandem Fabcaro et Conrad : Astérix en Lusitanie. Pour fêter ce nouvel album, revenons sur les débuts du village gaulois et de ses héros. Les vingt-quatre premiers albums furent dessinés et scénarisés par ses créateurs : Albert Uderzo et René Goscinny.

 

L’aventure d’Astérix commença dans le premier numéro du magazine hebdomadaire Pilote, paru en octobre 1959. Le nom d’Astérix fut choisi – en plus d’avoir une consonance gauloise sur le modèle de Vercingétorix – pour être le premier dans une liste alphabétique des héros de bande dessinée. Goscinny, Uderzo, Jean-Michel Charlier et quelques autres furent les créateurs de ce magazine pour la jeunesse dans lequel il y avait, à partir de 1964, essentiellement de la BD, mais aussi des romans, des reportages, des biographies de sportifs… Pilote fut un vivier de la BD franco-belge.

Pilote

Si les épisodes d’Astérix et de son ami Obélix étaient édités d’abord dans le magazine, en prépublication, les six premières aventures[1], de 1961 à 1965, furent aussi publiées en album dans la « collection Pilote ». Comme Pilote, malgré son fort succès commercial, connut des difficultés financières, l’éditeur Dargaud racheta le magazine et les albums. Ainsi, en 1966, les six premières aventures furent reprises par l’éditeur spécialiste de la BD et s’ajoutèrent, la même année, trois autres albums inédits : Le Combat des chefs, Astérix chez les Bretons et Astérix et les Normands. Goscinny et Uderzo étaient d’une redoutable efficacité…

Pendant seize ans, le duo travailla d’arrache-pied en créant vingt-quatre albums – ce qui représente un ou deux albums par an – faisant de cette série le plus grand succès de la bande dessinée francophone[2]. Mais, en 1977, la belle aventure des duettistes prit fin quand Goscinny fut victime d’une crise cardiaque dans le cabinet de son cardiologue lors d’un test d’effort sur un vélo d’appartement, ce qui aurait été un gag désopilant si la mort n’avait pas frappé.

Uderzo en solo

Alors, fallait-il arrêter la série Astérix ? Rechercher un autre scénariste pour remplacer l’irremplaçable Goscinny ? Finalement, Uderzo choisit d’être à la fois dessinateur et scénariste. Uderzo, étant sans conteste un maître du dessin, tandis que Goscinny possédait le génie scénaristique, avec son imagination, son humour fait de burlesque, de parodie et de satire, sans compter ses mots d’esprit. Et c’est pourquoi les neuf albums en solo qui suivirent les vingt-quatre en duo n’avaient pas la même saveur, c’était devenu laborieux.

Le temps passant, Albert Uderzo, à 82 ans, termina son dernier album (aidé par deux assistants) avec L’anniversaire d’Astérix et Obélix – le livre d’or pour célébrer les cinquante ans de la naissance du héros gaulois. Alors, se sentant fatigué, il décida de passer la main à un nouveau duo, Jean-Yves Ferri au scénario et Didier Conrad au dessin. La critique était partagée quant au premier album, Astérix chez les Pictes (2013), « zizanie » qui dura, peu ou prou, tout le long de la série des cinq albums qui se termina par Astérix et le Griffon (2021).

En 2023, Yves Ferri fut remplacé par Fabcaro au scénario, tandis que Conrad se maintint dans la place lors de la composition de l’album L’Iris blanc. En octobre 2025 est sorti, comme on l’a vu, le nouvel Astérix composé par la paire Fabcaro-Conrad. Tous les albums depuis le retrait de Uderzo sont vendus autour de 1 600 000 exemplaires en France et le tirage total est de cinq millions en dix-sept langues, faisant ainsi de cette BD le plus grand succès de librairie tous genres confondus.

Anachronisme et jeux de mots

L’idée d’Astérix lors de la création de la série en 1959 était de décrire la vie des Gaulois, car l’école de la IIIe République n’affirmait-elle pas que ce peuple était notre ancêtre ? Comme on peut l’imaginer, le réalisme historique n’était pas le sujet de Goscinny et de Uderzo, mais de créer un monde avec des anachronismes à tous les étages, des jeux de mots (« Il ne faut jamais parler sèchement à un numide », Le Domaine des dieux) et des jeux onomastiques[3] dans le seul but de faire rire les enfants et les adultes.

Le grand principe de la série est rappelé, à chaque épisode, sur la première page des albums : « Nous sommes en 50 avant Jésus-Christ. Toute la Gaule est occupée par les Romains… Toute ? Non ! Un village peuplé d’irréductibles Gaulois résiste encore et toujours à l’envahisseur et la vie n’est pas facile pour les garnisons de légionnaires romains des camps retranchés de Babaorum, Aquarium, Laudanum et Petibonum… » Tous le long des épisodes, le lecteur assiste à la tentative romaine de soumettre le village gaulois réfractaire, qui se situe en Armorique, dans le département actuel du Finistère. Les garnisons romaines échouent lamentablement et même le déplacement de César (veni vedi sans vici !) n’a pas davantage d’effet.

Si les Romains ne parviennent pas à leur fin, c’est que notre village gaulois a un druide, Panoramix, qui concocte une potion magique, secrète, à base de gui, qui rend fort et invincible, mais de manière provisoire. À part Obélix – qui est tombé dans la marmite de potion quand il était petit, ce qui a pour effet de le rendre invulnérable en permanence –, chaque membre du village est invité à en boire une dose dans les moments cruciaux.

Voyages

Astérix et Obélix, portant la moustache en bon Gaulois, tout comme le chien Idéfix, sont souvent appelés par le chef du village Abraracourcix ou par le druide à partir en mission dans les villes de la Gaule. C’est dans le cinquième album Le Tour de Gaule d’Astérix[4] (1965) que nos deux amis découvrent au cours de leur périple douze villes dont Rotomagus (Rouen), Lutèce (Paris), Lugdunum (Lyon), Massila (Marseille), Burdigala (Bordeaux)… À leur retour, le duo rapporte des spécialités comme les bêtises de Caramacum ou les saucisses de Tolosa !

Si les voyages en Gaule sont nombreux, ceux à l’étranger le sont encore plus. Ainsi, dans l’ordre chronologique, les deux héros voyagent, toujours pour de bonnes raisons, et non pour des motifs touristiques, à Rome, en Égypte, chez les Goths (les Allemands), les Bretons (les Britanniques), les Normands (les Vikings), en Afrique, à Olympie, en Hispanie, en Helvétie, chez les Indiens d’Amérique et, last but not least, chez les Belges, qui occupaient la Gaule septentrionale.

M. et Mme Agecanonix

Au sein du village, certains personnages apparaissent régulièrement. Outre Astérix, à l’intelligence vive, Obélix, livreur de menhir un peu naïf et grand amateur de sangliers, Panoramix, un druide au style de vieux sage et Abraracourcix, le noble et ombrageux chef, nous avons aussi dans notre collection Agecanonix, le doyen du village, âgé de plus de 90 ans, qui a combattu, déjà très âgé, à Gergovie (52 av. J.-C.), épaulant Vercingétorix le chef Arverne. Lorsqu’il est traité de « vieux débris », par des « jeunes » freluquets, il réplique : « Tu veux ma canne sur la figure ! » Mme Agecanonix, une jeune et belle pin-up vêtue d’une robe verte à large décolletée, ne travaille pas aux tâches ménagères, mais s’occupe de son apparence et défend bec et ongles son mari lorsqu’il est insulté. Elle peut se révéler jalouse quand des femmes tournent autour de lui…

Assurancetourix, l’incompris

Ordralfabétix est poissonnier de son état et, grand querelleur, se bat souvent contre Cétautomatix, le forgeron du village, qui prétend que son poisson n’est pas frais, ce que les locaux confirment ; ce qui est étrange, alors que la mer est à deux pas du village, ledit poisson provient des halles de Lutèce, livré en express en char à bœufs (La Grande Traversée : « Je vends du poison de Lutèce, moi, Môssieur ! J’ai le respect du client ! »)

Cétautomatix, qui n’est pas mélomane pour deux sesterces, ne supporte pas le barde Assurancetourix et le frappe pour le faire taire (« Non, tu ne chanteras pas ! Non tu ne chanteras pas ! ») quand celui-ci entonne un air celtique à la mode en s’accompagnant à la lyre (« Menhir montant, mais oui Madame… » ou encore « C’est le petit vin blanc qu’on boit sous les dolmens… ») Il est vrai que tout le village et même les Romains qui se bouchent les oreilles avec du persil ont la même opinion. Alors, va savoir, Toutatis ! Assurancetourix, qui a la certitude d’être génial, mais trop en avance sur son temps, est un incompris et finit le plus souvent bâillonné et ligoté, à la fin de l’épisode, pendant que les autres membres de la communauté festoient quand Astérix et Obélix reviennent avec succès d’une mission lointaine. Ce n’est vraiment pas sympa !

Par Toutatis, par Jupiter

Les Gaulois ont leurs dieux qu’ils invoquent à tout instant en guise de juron : « par Toutatis » (dieu guerrier protecteur), « par Bélénos » (dieu des arts et de la beauté), « par Bélisama » (déesse du foyer et de l’artisanat). Bien que courageux et batailleur, ils craignent, et particulièrement Abraracourcix, « ô notre chef ! », que le ciel leur tombe sur la tête. Les Romains ont également leurs propres dieux, comme tout le monde le sait, et émaillent leurs discours d’expressions du type « par Jupiter ! », « par Mercure ! », « par Mars ! », j’en passe et des meilleurs, car les dieux romains étaient légion…

Les Romains portent des noms latinisés avec un suffixe en -us qui forment, bien entendu, des jeux de mots du genre Marcus Sacapus, Tullius Detritus, Caius Infarctus, Tiberius Entreméfrancorus… Les centurions sont des peaux de vaches (« Vous materai, moi, par Jupiter ! ») et les légionnaires subissent, surtout s’ils sont frêles et malingres (« Engagez-vous, rengagez-vous, ils disaient ! »), car ils seront désignés d’office pour une mission suicidaire : rapporter des informations du village des irréductibles Gaulois. « Ils sont fous ses Romains ! » est bien la phrase préférée, et justifiée, d’Astérix et d’Obélix…

Bagarres homériques

Dans tous les épisodes, les Romains sont battus à plate couture par l’ensemble des guerriers du village dans des bagarres homériques ou plus souvent par les seuls Astérix et Obélix, car le nombre de combattants ne fait rien à l’affaire. Un seul suffit, même Agécanonix, pour massacrer toute une armée romaine. Néanmoins, il arrive que dans certaines histoires (Le Combat des chefs), les Gaulois soient privés de potion magique : le druide a reçu un menhir sur la tête et a perdu la mémoire, temporairement je vous rassure. Mais dans tous les cas de figure, les Gaulois finissent par remporter la victoire, car ils sont les meilleurs, sachez-le : « Cocorico ! »

Étant donné que l’on sait ce qui va se dérouler dans les grandes lignes : les Gaulois vont décimer sans coup férir les légions romaines et autres peuples barbares comme les Goths, les Normands (« par Thor ! », « par Odin ! ») ou les pirates (« les Gau… les Gaugau… les Gaulois ! »), les lecteurs devraient éprouver de la lassitude. Mais, il n’en est rien, car l’essentiel n’est pas de savoir si les Gaulois vont gagner, mais comment ils vont gagner et ils vont gagner. C’est pourquoi les voyages lointains ou même proches donnent de l’oxygène aux aventures de nos amis. Cette bande dessinée remporte tous les deux ans un triomphe d’édition, si ce n’est critique, qui fait des romanciers de pauvres bougres en recherche de ventes : « Et moi, et moi, et moi ! »

Didier Saillier

(Décembre 2025)

[1] Astérix le Gaulois (1961), La Serpe d’or (1962), Astérix et les Goths (1963), Astérix gladiateur (1964), Le Tour de Gaulle d’Astérix (1965), Astérix et Cléopâtre (1965).

[2] Les ventes passèrent de 6 000 exemplaires pour le premier, Astérix le Gaulois (1961), à 1 500 000 pour le dernier de la période Goscinny-Uderzo, Astérix chez les Belges (1979).

[3] Les noms Astérix, Obélix, Panoramix, Assurancetourix, Agecanonix, Abraracourcix, Ordraphabétix ont un double sens d’une grande clarté.

[4] Faisant évidemment référence à l’épreuve cycliste le Tour de France (créé en 1903), mais aussi au célèbre manuel de lecture scolaire, Le Tour de la France par deux enfants (1877).

René Goscinny et Albert Uderzo, Astérix (24 premiers volumes), Hachette, 48 p., 10,90 € le vol., 1998.

Illustration : René Goscinny et Albert Uderzo, Astérix et Cléopâtre (1965). Détail de la couverture.

 

 

Un critique culturel et littéraire qui écrit sur les œuvres qui l'enthousiasment. « Rien de grand ne se fit jamais sans enthousiasme » Ralph Waldo Emerson (« Société et Solitude ») ; « La plus grande décadence dans ce monde est de perdre son enthousiasme. » H. W. Arnold

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *