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Les Parisiens dans l’entre-deux-guerres. Les gens de Paris.
Exposition,  Histoire

Les Parisiens dans l’entre-deux-guerres

Le musée Carnavalet – Histoire de Paris (23, rue Madame-de-Sévigné, Paris 3e) organise, du 8 octobre 2025 au 8 février 2026, l’exposition « Les gens de Paris, 1926-1936. Dans le miroir des recensements de population ». Une étude de la démographie parisienne durant l’entre-deux-guerres, comparée à celle d’aujourd’hui.

 

Dans le passé, la capitale française exerçait sur les provinciaux et les étrangers une attraction certaine. Les raisons étaient variées. On « montait à Paris », que l’on soit du nord ou du sud, pour y chercher du travail, accéder à une promotion sociale, bénéficier d’une offre culturelle incomparable ou tout simplement conquérir Paris, à la Rastignac ! Aujourd’hui, c’est peut-être encore vrai, mais il semble que les inconvénients soient jugés plus importants que les avantages. Les prix astronomiques du logement, les surfaces trop petites ne permettant pas de disposer d’une bonne qualité de vie, la pollution atmosphérique, le stress dû à la vie trépidante, la grande densité (5e ville au monde devant, Séoul, New York, Moscou), alors, pour toutes ces raisons, beaucoup quittent Paris pour s’installer en banlieue plus ou moins éloignée, dans une ville provinciale ou à la campagne.

Éclair-Journal

L’exposition du musée Carnavalet se concentre sur la décennie 1926-1936, car pour la première fois les recensements de 1926, 1931 et 1936 établissent des listes nominatives. Chaque membre du foyer est recensé par critères : nom, prénom, année de naissance, lieu de naissance, nationalité, situation familiale (mari, femme, enfant ou autre situation), profession. Cette méthode permet de procéder à la répartition sociale de Paris.

Une archive filmique, de quelques minutes, créée par Éclair-Journal, société produisant des actualités cinématographiques, nous introduit, le 11 mars 1936, au service de la Statistique générale de la France en pleine action : des dizaines d’opératrices saisissent à vitesse grand « V » sur une machine spécifique – la « classi-compteur-imprimeur » dont un exemplaire nous est présenté – les informations récoltées par les recenseurs. Tout cela paraît d’une grande avancée technique, avant la mécanographie et surtout l’informatique.

Évolution de la population

La période de 1926-1936 correspond au moment où la ville était en plein renouveau, en pleine mutation. C’est en 1921 que Paris intramuros atteint son plus haut niveau, avec 2 900 000 habitants recensés. Un graphique explique l’évolution de la population parisienne entre 1861 et 2025. De 1861 à 1921, le nombre d’habitants ne cesse de grandir. La raison principale est due à l’annexion en 1860 des onze communes[1] entourant Paris, qui fait passer de douze à vingt les arrondissements, et bénéficier de 350 000 habitants en plus.

L’autre raison est l’annexion par Paris de la « zone » militaire déclassifiée (devenue constructible) qui partait des fortifications (détruites au cours d’une dizaine d’années après la Première Guerre mondiale) sur une distance de 250 mètres, zone qui appartenait aux communes limitrophes. Sur cette zone, un programme de construction (loi Loucheur du 13 juillet 1928) prévoit 18 000 habitations à bon marché (HBM) et qui seront construites au cours des années trente tout autour de la ceinture.

Statistiques

Grâce aux recensements de 1921 à 1936, nous accédons à certaines statistiques démographiques intéressantes : l’espérance de vie en 1926 était de 45,1 ans pour un homme et 48,8 ans pour une femme, alors qu’en 2023 elle est respectivement de 81,1 ans et de 86,2 ans. Sur ce point précis, ce n’était pas mieux avant… Dans la même période, la fécondité passe de 1,6 enfant par femme à 1,2. Il y a un siècle, la moitié des couples mariés n’avaient pas d’enfant, ce qui explique pourquoi les petits Parisiens étaient en déficit par rapport aux adultes.

Des associations natalistes incitent à avoir des enfants, sinon « sans enfants aujourd’hui plus de France demain ! ». Par conséquent, les politiques familiales étatiques encouragent les parents à avoir plus d’enfants, en aidant financièrement les familles nombreuses, et en leur accordant des « médailles d’honneur de la famille française » à partir de cinq enfants vivants… Du côté des sanctions, en 1923 l’avortement passa du crime au délit afin de rendre plus applicables les peines. L’information sur la contraception était interdite.

Enfants

Pour ces moins de deux enfants en moyenne par couple, il faut bien tout de même prévoir suffisamment d’écoles : en 1926, 32 000 enfants sont scolarisés à l’école maternelle et primaire. L’école obligatoire jusqu’en août 1936 est à treize ans puis passe à quatorze ans avec la politique sociale du Front populaire. Alors, au cours des années trente des groupes scolaires sont remis à neuf ou construits pour accueillir les enfants dans de bonnes conditions.

La proportion d’enfants et de personnes âgées était moindre qu’en province, ce qui s’explique aisément dans la mesure où ce sont les adultes qui viennent à Paris chercher des emplois, et particulièrement les jeunes. En 1926, les personnes âgées représentaient 10 % de l’ensemble (17 % en 2023) et les moins de vingt ans, 20 % (19 % en 2023).

Bécassine

Malgré la faible natalité à Paris, le nombre d’habitants était important (près de trois millions), cela s’explique par l’apport de provinciaux. Paris attirait particulièrement les Auvergnats et les habitants sud du Massif central. On les appelait les bougnats, ils possédaient la quasi-exclusivité des cafés-charbons. L’autre région pourvoyeuse de travailleurs était la Bretagne qui, pour sa part, envoyait de jeunes filles dans la capitale pour exercer le métier d’employée de maison à l’image de Bécassine, l’héroïne de bande dessinée née en 1905.

L’autre population conséquente s’établissant venait des colonies françaises et des protectorats, des trois départements de l’Algérie, ainsi que les « étrangers » proprement dits : en 1926, les nationalités les plus nombreuses sont, dans l’ordre, italienne, russe, belge, polonaise, alors qu’en 1936, les Polonais passent en tête.

J’ai deux amours

La section « Paris est mon chez-moi » fait référence à la phrase de l’Américaine Gertrud Stein, Parisienne de cœur, écrivaine, poétesse et collectionneuse d’art. Une cimaise est couverte de photos et de tableaux de Parisiens et de Parisiennes célèbres : Joséphine Baker (1906-1975) : « J’ai deux amours mon pays et Paris », chantait-elle ; Édith Piaf (1915-1963), née à Belleville, une figure majeure de l’art populaire ; Suzy Solidor (1900-1983), chanteuse et actrice de l’entre-deux-guerres représentée en robe noire par le peintre Pierre Sichel, elle ouvrit en 1932 le cabaret lesbien La Vie parisienne. À Paris, c’est un grand avantage, on peut vivre comme on le souhaite…

Toujours dans les personnalités connues ou reconnues, un tableau de Raymond Woog figure le poète et écrivain Léon-Paul Fargue (1876-1947) dont Le Piéton de Paris est l’ ouvrage le plus célèbre, témoignant de son érudition et de ses flâneries, le nez en l’air, dans les rues parisiennes. Dans le domaine politique, on trouve un portrait photographique de Hô Chi Minh, quand il vivait à Paris de 1917 à 1923, figure de l’anticolonialisme, avant de devenir le fondateur du Parti communiste vietnamien et chef d’État de ce pays. Toutes ces œuvres reflètent les diverses origines de la population parisienne.

Catherinettes

Si la ville comporte 38 % de célibataires, alors il convient de trouver un partenaire. C’est ce que tentent de réaliser les « Catherinettes », encore célibataires à vingt-cinq ans, elles qui étaient stigmatisées par la société. Une archive montre une course de « Catherinettes », entourées d’automobiles et de vélos, munies d’une boîte à chapeau à la main et portant des chapeaux fantaisistes. On nous présente quelques lieux pour se distraire et éventuellement trouver l’âme sœur. Le Luna Park, construit en 1909 à la porte Maillot est représenté, en 1932, par la peintre franco-suédoise Yvonne Sjoestedt. Des extraits de films nous font découvrir Luna Park avec ses montagnes russes et autres manèges ; au Tabarin, au pied de la butte Montmartre, on propose des revues de French cancan, pourtant déjà dépassé, ou du music-hall avec des chanteuses comme Joséphine Baker.

Mais les loisirs ne sont pas tout, il convient aussi de travailler. Chez les femmes, la catégorie la plus importante regroupe les métiers des soins personnels et de la domesticité (31 %), suit les métiers de l’industrie (30 %), le commerce et la banque (19 %), les professions libérales (15 %) et les services publics (2 %). Parmi toutes ces classes se détachent quelques professions les plus fréquentes. Dans l’ordre : les employées de maison, les couturières, les concierges, les employées de commerce, les sténodactylos, les infirmières, les employées de bureau, les modistes, autrement dit, les « petites mains » des maisons de couture.

Métiers et petits métiers

Chez les hommes, l’industrie est numéro un (37 %), le commerce et la banque (27 %), la manutention et le transport (14 %), les soins personnels et la domesticité (5 %), les services publics (4 %). Les classes d’actifs les plus fréquentes sont les employés de commerce, les employés du rail (train, métro), les mécaniciens, les manœuvres, les comptables, les menuisiers, les boulangers et pâtissiers, les employés de maison, les chauffeurs et cochers, les ajusteurs. Comme disait Talleyrand, si cela va sans le dire, cela ira encore mieux en le disant : le travail de l’agriculture et de la forêt à Paris représente 1 % pour les femmes et 0 % pour les hommes…

Un extrait d’un court métrage, Les petits métiers de Paris, commenté par l’écrivain Pierre Mac Orlan, nous présente d’autres métiers surprenants qui ne sont pas répertoriés dans la liste, des métiers pratiqués par le sous-prolétariat sur les quais de Seine, à proximité de la cathédrale Notre-Dame : chiffonniers, barbier, toiletteur de chiens, qui habituellement se retrouvent plus volontiers du côté du marché des puces de la porte de Montmartre.

Nos ancêtres parisiens

À partir des années cinquante, le nombre de Parisiens baisse drastiquement jusqu’aux années quatre-vingt. Par la suite, la baisse est moindre et en 2022, date du dernier recensement, elle atteint 2 113 705 habitants. On peut expliquer cette baisse par un vieillissement des habitants, et de ce fait un non-renouvellement des générations, mais aussi à cause ou grâce à l’offre de transports nombreux et variés (TGV, RER, métro, bus…) qui permettent aux travailleurs de Paris d’habiter dans les banlieues proches ou lointaines, et même en province dont le logement est beaucoup moins onéreux. Un voyage Paris-Lille n’est pas plus long qu’un déplacement en banlieue avec correspondances…

Le point fort de l’exposition, à la toute fin du parcours, est de permettre aux visiteurs de vérifier, à l’aide de grandes tablettes numériques, s’ils ont eu, dans les années 1926-1936, des ancêtres qui vécurent à Paris intramuros. J’ai essayé et constaté avec surprise que j’avais une trentaine de membres de ma lignée dont j’ignorais parfaitement l’existence. Ces personnes sont de la génération de mes grands-parents. À partir de ces informations, il est possible de commencer un arbre généalogique si on le désire. Le passé est bien un adjuvant du présent.

Didier Saillier

(Janvier 2026)

[1] Auteuil, Batignolles-Monceau, Belleville, Bercy, Charonne, Grenelle, La Chapelle, La Villette, Montmartre, Passy, Vaugirard.

Illustration : affiche lithographique de Paul Colin, Tabarin, 1928.

Un critique culturel et littéraire qui écrit sur les œuvres qui l'enthousiasment. « Rien de grand ne se fit jamais sans enthousiasme » Ralph Waldo Emerson (« Société et Solitude ») ; « La plus grande décadence dans ce monde est de perdre son enthousiasme. » H. W. Arnold

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