La marge du temps, un blog culturel et littéraire
Fiction et autobiographie

La tournée des «Calendriers» de Robert Cottard

 

Le 2 mai 2019, sont parus aux Éditions de l’Olivier Les Calendriers de Robert Cottard, un ensemble de nouvelles, à caractère autobiographique, décrivant la vie de facteur dans les villages du pays de Caux, en Seine-Maritime. L’ouvrage qui a valu à son auteur le prix des postiers écrivains 2020.

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Les postiers sont des hommes de lettres, comme on le dit plaisamment, mais certains sont par ailleurs aussi des écrivains. Robert Cottard est un de ceux-là. Il a connu sur le tard les joies de la publication, à 73 ans, avec son recueil de nouvelles Les Calendriers qui a été repéré par Agnès Desarthe, une écrivaine reconnue, habitant tout comme lui, à Gonneville-la-Mallet, un bourg de 1 500 âmes. Robert Cottard est entré aux PTT en 1968, reçu premier au concours national des facteurs, et fut affecté à la poste maritime pour trier et livrer le courrier aux paquebots, dont Le France, amarrés au Havre. Cinq ans plus tard, il est muté à Criquetot-l’Esneval où il restera jusqu’à la retraite, en 2000.

C’est à Gonneville-la-Mallet, à dix kilomètres d’Étretat, que se situe sur une période d’une trentaine d’années l’action des aventures de Bob le facteur. Elles ne sont pas datées, mais le lecteur parvient à se repérer grâce à des indicateurs temporels : « après le premier choc pétrolier » (1974), « l’année de la sécheresse » (1976), « Mai 68 » (facile), « la fièvre libérale qui toucha la Poste » (1991). La plupart des scènes décrites ont lieu de novembre à décembre, la période où le facteur fait la tournée des grands ducs pour proposer le célèbre « almanach des PTT » qui est le fil directeur des quinze nouvelles. L’almanach reste une valeur sure, même si la tradition se perd, notamment en ville. Si pour les acheteurs, il a une fonction décorative avec des photographies au recto et au verso et une fonction informative (phases de la lune, heures des marées, carte du département, plan de villes…), pour le facteur, il a une fonction rémunératrice, car c’est à cette occasion qu’il reçoit ses étrennes de fin d’année.

Le facteur, une institution

Bob avec sa 4 L Renault ou sa C 15 Citroën, dans les années 1980, parcourt les chemins pour rejoindre une ferme où un chien peu amène, comme le bullmastiff Le Pen qui le pourchasse les crocs à l’air ou le cocker Joe qui, sous ses airs placides, lui agrippe le mollet et lui déchire le pantalon. Heureusement que les maîtres ne sont pas aussi coriaces que leur chien ! Ce sont souvent des couples d’agriculteurs hauts en couleurs qui attendent avec impatience leur facteur et son calendrier. En effet, le facteur à la campagne est une figure locale, comme le maire ou le garde champêtre, l’une des rares personnes à pénétrer au sein des maisons. Pour certains, le facteur c’est même un copain : il est comme nous, en somme ! Et le calendrier, c’est sacré.

Malheureusement, Bob n’est pas toujours récompensé à sa juste valeur, car ses usagers sont souvent un tantinet pingres, du plus modeste au plus riche, comme monsieur le châtelain qui lui offre en guise de rémunération « une pleine corbeille de marrons qui [le] glacent ». Pour le sport, on s’enquiert du prix d’achat du calendrier, mais Bob finasse pour ne jamais révéler ce secret d’État. Les habitués, tout le long de l’année, lui offrent des légumes, des pots de confiture, des croissants, tandis qu’Yvonne et Louis l’invitent à une collation, un œuf sur le plat accompagné d’un cidre maison. Il n’y a pas que des désavantages d’être facteur…

Pendant ses tournées de distribution de lettres et de journaux régionaux (Le Courrier cauchois, Paris Normandie, Le Havre libre, le Journal de Criquetot), Bob en profite pour proposer ses calendriers. Le choix de l’almanach de la poste devient un cérémonial, on sort une bouteille, souvent du calvados ou du cidre – Normandie oblige : « Un pt’tit calva pour la route, lance René en tirant du bas de son buffet une bouteille sur laquelle est écrit “Bartissol”. » Le choix du calendrier est un moment sérieux, long et difficile, mais en définitive, ce sont souvent les animaux qui ont la préférence : les chiens et les chatons gagnent haut la main devant les paysages des régions de France.

Dans son recueil, Robert Cottard nous donne à entendre une France rurale populaire à travers des mots qui fleurent bon – pour rester vague – l’« ancien temps » : le Bartissol, un apéritif aujourd’hui en perte de vitesse ; la TSF où « sur le cadran on peut encore lire des noms de stations tels que Dortmund et Hilversum » ; l’Ami 6 Citroën gardée religieusement dans un garage par Choléra, un riche rentier vivant comme un misérable : « En me désignant les poignées des portières et les accoudoirs, il précisa, non sans une pointe de fierté : “C’est les mêmes que la DS.” » Les noms de voitures jouent un rôle déterminant dans l’ambiance et colorent les époques : la R18, la Simca Aronde, la R8 Gordini, nous évoquent ce passé enfui.

L’autre apport de notre facteur lettré, c’est de rendre le charme savoureux de l’accent du pays de Caux par l’écriture phonétique : « – Et où c’est qu’il habite, vot’ biau-freï ? » ; « – On t’a pas oco vu pou l’calendrier ? » ; « – Excuse mé d’avé été un p’tieu long mais tu sais, on n’a pou’ un an ». Car Robert Cottard est friand de ce dialecte normand qu’il note religieusement dans son calepin : « S’intervalle parfois une expression en patois que je cueille avant qu’elle ne s’envole et qui fera peut-être les délices d’un philologue du xxiiie siècle. » Tous ces personnages sous la plume de Bob sont, si ce n’est sympathiques, du moins drôles ou touchants par leur histoire de vie, parfois dramatique.

Politiquement, les habitants du village sont de tendance droitière, voire d’extrême-droite. Le racisme quotidien est une évidence. Boris et Mado possèdent le portrait du maréchal Pétain en vis-à-vis du pape Jean-Paul II, tandis que Marie-Antoinette, une monarchiste convaincue, le portrait de Louis XVI. Le châtelain apostrophe à tour de bras le facteur par l’expression condescendante « mon ami ». Son ami lui propose en retour un almanach représentant les châteaux de Chambord et de Chenonceau pour lui rappeler ce « passé qu’il regrette et d’une monarchie dont il souhaite ardemment le retour […] ».

Une galerie de postiers

Outre les portraits de ses usagers, Bob nous présente une galerie de personnages liés au monde postal comme le vérificateur, qui contrôle la tournée et la normalisation des boîtes à lettres ; mademoiselle la receveuse qui piste les déplacements de Bob en téléphonant dans les fermes pour le remettre sur le droit chemin ; Lulu, le « Monsieur Conso », qui apprend aux facteurs à conduire mollo, tout en ressentant une dilection pour les bières allemandes, les blondes et les alcools forts. La Poste étant devenue une entreprise publique (les usagers sont devenus des clients et des « points de distribution »), il est temps que Bob tire sa révérence.

On apprend que le facteur en terrain cauchois a la terreur d’être muté pour raison disciplinaire dans un centre de tri postal de nuit, lieu de relégation, où la dépression et l’alcoolisme guettent les postiers malchanceux. Pour avoir été moi-même facteur à Paris et travaillé pendant une quinzaine d’années dans un centre de tri postal de la petite couronne, je suis surpris que ce dernier était à l’époque autant redouté : « L’enseigne “Centre de tri” en lettres de néon s’inscrivait de plus en plus souvent au plafond de mes insomnies. » Il est vrai que l’univers des facteurs et celui des agents trieurs étaient aux antipodes : les premiers s’apparentaient à des artisans, propriétaires de leur quartier de distribution et prenaient soin de leur clientèle dans l’espoir d’un retour sur investissement grâce aux calendriers de fin d’année, tandis que les seconds avaient davantage une culture ouvrière, d’usine, toujours prêts à brandir le drapeau rouge de la révolte. En revanche, ce qui faisait leur point commun était l’esthétique de l’alcool, les libations fréquentes. D’ailleurs, à la distribution, l’usage de l’alcool était davantage toléré eu égard à la froidure de l’hiver comme le rappelle notre facteur-écrivain : « Un fond, un fond… T’as vu le temps qu’il fait dehors, se défend René en lui rappelant les trois degrés au-dessous de zéro qu’affichait le thermomètre en ce matin de décembre. »

Robert Cottard ne se contente pas de raconter ses souvenirs, c’est un écrivain qui a du style : le vocabulaire est riche, l’humour est constant, son écriture métaphorique a du rythme et mêle le précieux au trivial. Pour donner un aperçu de sa prose, voici une phrase représentative : « Mermoz du pays de Caux, je vais devoir me confronter aux éléments, franchir la cordillère du père Duparc, une montée en sous-bois sur un chemin raboteux, par les fougères et les lapins qui en jaillissent, me poser en catastrophe près de l’oued qui borde la maison des Avenel en veillant à ce que mon coucou ne capote pas dans la mare. »

Chapeau Bob !

Didier Saillier

(Juin 2020)

Robert Cottard, Les Calendriers, Éditions de l’Olivier, 2019, 263 p., 17,50 €.

Photo : Almanach 1989, Jean Lavigne.

Un critique culturel et littéraire qui écrit sur les œuvres qui l'enthousiasment. « Rien de grand ne se fit jamais sans enthousiasme » Ralph Waldo Emerson (« Société et Solitude ») ; « La plus grande décadence dans ce monde est de perdre son enthousiasme. » H. W. Arnold

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