Le 8 octobre 2025, est sorti sur les écrans « Nouvelle Vague » de Richard Linklater qui relate le tournage d’« À bout de souffle » (1960) de Jean-Luc Godard avec des acteurs et actrices inconnus mais formidables. Le film donne au spectateur l’illusion d’avoir assisté au tournage, en 1959…
Le Louxor (Paris Xe) a projeté en avant-première, pendant six jours, du 28 août au 2 septembre, Nouvelle Vague de Richard Linklater, dont une scène se passe précisément dans le café du cinéma. Un des rédacteurs de Culture et Liberté y était…
Histoire d’un tournage
Richard Linklater est un cinéaste américain doublé d’un cinéphile averti et francophile. Étant un admirateur du mouvement de cinéma dit la « Nouvelle Vague » et de Jean-Luc Godard en particulier, il eut l’idée, il y a plus de dix ans, de consacrer un film au tournage d’À bout de souffle. Il n’est pas le premier à avoir consacré un film à l’histoire d’un tournage. Nous pouvons en citer quelques-uns : Singin’ in the Rain (1952) de Stanley Donen et Gene Kelly, Le Mépris (1963) de Godard ; La Nuit américaine de François Truffaut (1973). Ce qui fait la différence, c’est qu’il s’agit ici d’un film réel qui fut le symbole de la Nouvelle Vague.
La difficulté était de découvrir des acteurs et des actrices qui ressembleraient aux modèles. La plupart d’entre eux sont des débutants, à part le principal omniprésent dans chaque plan, Guillaume Marbeck, qui joue Jean-Luc Godard. C’est un photographe ayant un studio près du parc Monceau. Le danger aurait été de choisir des acteurs et des actrices que le public connaît déjà, car la fusion entre le personnage et l’acteur n’aurait pu se faire, la vedette aurait recouvert le personnage. Le risque aurait été d’autant plus vrai pour les principaux acteurs d’À bout de souffle, en l’occurrence Jean Seberg (Zoey Deutch) et Jean-Paul Belmondo (Aubry Dullin).
Modèles et acteurs
Pour les personnages moins familiers, la ressemblance était moins essentielle, pourtant là encore, les interprètes ont une allure, une similitude avec les référents. Par exemple le producteur Georges de Beauregard (Bruno Dreyfürst), le premier assistant Pierre Rissient (Benjamin Cléry), le chef opérateur Raoul Coutard (Matthieu Penchinat), tous prennent la personnalité de leurs modèles et leurs mimiques.
Le principe était que la forme du film soit en adéquation avec celle d’À bout de souffle. Il fallait que l’esthétique du film corresponde à l’année 1959, année du tournage. Ainsi, il est en noir et blanc, tourné avec de la pellicule, en français, car s’il avait été en anglais, les sous-titres auraient gâché l’aspect presque documentaire du film.
Englouti par la vague
Pour que le spectateur ressentît l’ambiance de l’époque, il fallait travailler sur la reconstitution, sur les détails historiques : les magazines réellement à l’affiche en août 1959 dans les kiosques ; la qualité de l’image de l’original, le cadrage, les angles identiques ; le travail des voix, du rythme et des intonations des acteurs proches de leur modèle : Belmondo gouailleur, Jean Seberg avec son accent américain so charming, Jean-Pierre Melville (Tom Novembre) et sa grandiloquence langagière.
En 1959, Godard n’est pas encore Godard, mais Jean-Luc qui a des idées sur le cinéma, qu’il note dans un calepin depuis dix ans, dit-il, mais il est le seul de la bande des Cahiers du cinéma à n’avoir pas encore tourné de long métrage, très tourmenté, il craint d’être englouti par la vague, alors que ses camarades surfent dessus avec élégance. Pour l’heure, François Truffaut triomphe au Festival de Cannes avec Les Quatre Cents Coups. Alors, Godard sans le sou vole dans la caisse de la revue et se rend à Cannes. Dans la Mecque du cinéma, il y rencontre Georges de Beauregard, un producteur marginal financièrement aux abois, qui place ses espoirs dans ce futur cinéaste.
Rejet des conventions
Le tournage se déroule dans l’amateurisme le plus total, le plan de tournage n’existe pas, Godard dans une journée tourne deux heures, puis abandonne le plateau ayant perdu son inspiration. Ce qui engendre la colère du producteur vis-à-vis du metteur en scène, et les deux hommes en viennent aux mains…
Mais le film montre aussi comment Godard sans expérience trouve des solutions aux problèmes, par exemple comment filmer dans la rue sans que les badauds regardent la caméra ? Il suffit de la placer avec le cadreur dans un chariot de la poste. Comment filmer à l’intérieur d’un lieu clos avec fluidité ? Mettre le caméraman dans un fauteuil roulant poussé par Godard lui-même. Bref, son principe c’est de refuser ce que les autres cinéastes font, en rejetant les conventions des films « normaux ». Et ce jusqu’à la dernière phase, celle du montage, en ne supprimant aucune scène, mais en coupant à l’intérieur d’elles pour donner du dynamisme.
Pour saisir toutes les allusions, tous les clins d’œil, il est préférable de connaître l’histoire de la Nouvelle Vague. Si ce n’est pas le cas, le spectateur s’amusera tout de même, car le film appartient bien au genre de la comédie.
Didier Saillier
(Septembre-octobre 2025)
Nouvelle Vague (2025) un film de Richard Linklater avec Guillaume Marbeck (Jean-Luc Godard), Zoey Deutch (Jean Seberg), Aubry Dullin (Jean-Paul Belmondo), Benjamin Cléry (Pierre Rissient, premier assistant), Matthieu Penchinat (Raoul Coutard), Bruno Dreyfürst (Georges de Beauregard), Tom Novembre (Jean-Pierre Melville).
Photo : Richard Linklater, Nouvelle Vague : Guillaume Marbeck (Jean-Luc Godard) et Aubry Dullin (Jean-Paul Belmondo).



