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Aggie, une adolescente américaine
Arts plastiques,  Jeunesse

Aggie, une adolescente américaine

La bande dessinée « Aggie », née aux États-Unis en 1946 sous la plume et le crayon de Hal Rasmusson, a connu un fort succès en France avec les illustrations d’Al. G. et les scénarios de Paulette Blonay. Alors qu’à ses débuts, Aggie était une fille malheureuse, elle devient par la suite une adolescente bien de son temps, fréquentant le college, autour de laquelle gravite son petit monde. Pendant trente-neuf ans (de 1948 à 1987), elle fera la joie des lectrices et parfois des lecteurs.

 

Pour France

 

La Société parisienne d’édition (SPE) publiait à partir des années d’après-guerre jusqu’aux années quatre-vingt, quatre titres : Les Pieds nickelés, Bibi Fricotin, L’Espiègle Lili et Aggie en quadrichromie : quatre couleurs fondamentales (cyan, magenta, jaune et noir). Si les trois premiers titres nommés m’étaient familiers, bizarrement je passais à côté d’Aggie sans avoir eu la curiosité de feuilleter ses pages. Peut-être parce que c’était une lecture de fille ? Pourtant L’Espiègle Lili l’était tout autant, mais me procurait des émotions. Mystère.

Aggie, une adolescente américaine

L’histoire de l’héroïne prend sa source aux États-Unis. C’est en 1946 que les lecteurs du Chicago Tribune découvrent Aggie Mack (son titre initial), qui paraît en strip de 1946 à 1972, signée par Hal Rasmusson pour les dessins et les textes. Le strip est une bande dessinée de quelques cases sur une seule ligne, en forme de gag ou d’histoire à suivre, publiée le plus souvent dans un quotidien.

Hal Rasmusson (1900-1962), le créateur du personnage Aggie, (diminutif d’Agnès) a reçu une formation auprès de l’école de Minneapolis Art School dans l’État du Minnesota et a débuté sa carrière comme illustrateur de mode puis dessinateur dans différentes sociétés : il y dessina à cette occasion des cartes de vœux. Par la suite, à New York et à Minneapolis, il évolua professionnellement en devenant directeur artistique. C’est en 1946 que Rasmusson se lança tardivement dans la bande dessinée, et à sa mort, en 1962, le dessinateur Roy Fox reprit les strips, jusqu’en 1972, dans le même style que son devancier.

Al. G. et Paulette Blonay

Un an seulement après la naissance aux États-Unis de ce comic strip, en 1947 donc, une édition française apparut dans l’hebdomadaire Fillette (1909-1964) appartenant à la SPE des frères Offenstadt. L’année suivante, la SPE publia Aggie sous forme d’albums à la couverture souple dans la collection « Les Beaux Albums de la jeunesse joyeuse ». Les quatorze premiers albums américains créés par Rasmusson (de 1948 à 1960) sont des traductions aménagées pour le public français. Dans Aggie au collège (1953), le premier prix du concours de bonhomme de neige est d’un montant de 5 000 francs…

C’est à partir du quinzième numéro (Aggie fée du logis), en 1960, que l’héroïne prit une nouvelle ampleur. Il ne s’agit plus de traductions, mais d’aventures originales créées par le tandem français – qui sera aussi mis en place deux ans plus tard avec L’Espiègle Lili, après le départ de la scénariste Bernadette Hiéris – Gérard Alexandre (1914-1974), dit « Al. G. », au dessin et au scénario Paulette Blonay (1912-1999). Alors que le dessin de Hal Rasmusson était plutôt sommaire, le trait d’Al. G. est ferme, précis, minutieux, tant pour les personnages que les décors. Bref, le graphisme est net, élégant, et les histoires, à la tonalité plus gaie, sont mieux développées. En quatorze ans (de 1960 à 1974), le duo conçut douze albums dont le dernier est Aggie fait de bonnes actions.

Les dernières histoires d’Aggie

Après la disparition d’Al. G. en 1974, la scénariste Paulette Blonay participa encore à trois aventures avec Pierre Lacroix, le dessinateur de Bibi Fricotin (Aggie et l’opération survie, 1979 ; Aggie et la solution rétro, 1979), et avec J. Pascal (Aggie et Baby Lou, 1980). Dans ces trois albums, les personnages dessinés sont loin d’avoir la tenue et le charme des traits d’Al. G. Même les scénarios de Paulette Blonay sont moins aboutis et celui d’Aggie et Baby Lou est une quasi-réplique de Lili et son nourrisson (1956) de sa collègue Bernadette Hiéris !

L’aventure d’Aggie se termina par cinq albums avec la reprise en main (au dessin et au scénario) d’Anne Chatel de 1980 à 1984. Celle-ci revint dans l’esprit de Hal Rasmusson. Comme dans les premiers albums des années cinquante, Aggie cherche à récolter de l’argent pour offrir des cadeaux de Noël à sa famille et à ses proches.

Pauvre Aggie !

Si les albums « américains » souffrent de la comparaison avec les albums français, c’est en raison du principe du strip de trois ou quatre images qui ne permet pas de développer une vraie histoire. Ainsi les albums dessinés par Rasmusson sont une succession de gags, plus ou moins drôles, placés au bout des lignes, et c’est pourquoi les albums réunissant cet ensemble de strips sont assez ennuyeux et répétitifs. En revanche, les scénarios de Paulette Blonay, qui fut rédactrice en chef de Fillette de 1945 à 1968, sont soignés et font montre de subtilité sans recourir au gag systématique, préférant plutôt installer une ambiance propre au college d’un campus américain.

Dans les neuf premiers albums, Aggie, âgée de quinze ans, est une sorte de Cosette des Misérables de Victor Hugo, qui est au service de sa belle-mère et surtout de la fille de cette dernière, Mona, l’antagoniste de la série, méchante à souhait qui se fait belle, sort avec de jeunes gens, entretient ses ongles, et surtout fait trimer la Pauvre Aggie (1948), titre de la première aventure. D’ailleurs, la réédition de dix albums d’Aggie aux Éditions Vents d’Ouest porte le sous-titre « La Cendrillon des temps modernes », ce qui montre bien l’esprit de cette BD.

Commandant Mack

Ayant perdu sa mère très jeune, Aggie est aux mains de ces deux dragons qui lui mènent la vie dure. C’est elle qui est chargée de toutes les tâches ménagères : préparation des repas, vaisselle, ménage, lavage des sols, lessive, repassage lui sont réservés expressément. Son père, commandant de marine, est toujours en déplacement. De temps à autre, il revient en permission, et Mona et sa mère donnent le change en se montrant sympathiques vis-à-vis d’Aggie. Ah, les fourbes ! Parfois, le commandant Mack, qui adore sa fille, lui envoie des cadeaux comme une robe de Paris, mais Mona déclare à sa mère : « Qu’elle est belle… Beaucoup trop belle pour Aggie ! »… et elle finit par la lui dérober (Aggie gagne sa vie, 1949).

C’est à partir du dixième album (Les Vacances d’Aggie, 1956) que l’atmosphère se détend. Il est vrai que M. Mack dorénavant ne voyagera plus dans la série de Rasmusson, on en ignore la raison : « Savez-vous que papa ne naviguera plus ? – Charmant ! Nous l’aurons donc en permanence à la maison », lâche la vilaine belle-fille. Effectivement, à présent le père d’Aggie reste dans son fauteuil à fumer la pipe et à lire le journal, en observant du coin de l’œil le comportement de Mona à l’égard d’Aggie. En un album, M. Mack, qui était bel homme, vêtu de son uniforme impeccable, dans son fauteuil paraît avoir vieilli de vingt ans. Ce qui montre bien que l’inaction pour un homme actif n’est pas recommandée…

Scooter

Dans les épisodes suivants, la belle-mère change du tout au tout envers sa belle-fille. Dans Les Bonnes Idées d’Aggie (1959), l’héroïne aimerait posséder un scooter pour se rendre au college et se promener, mais son père retourne ses poches : elles sont vides ! « Allons, ne fais pas cette triste figure… Tu l’auras ton scooter ! la rassure sa belle-mère – Oui… Dans 10 ou 20 ans ! …, réplique tristement Aggie. – Non, ma chérie… Tout de suite ! Tu m’as beaucoup aidée dans la maison cet hiver… alors j’ai pu me passer d’une femme de ménage, ce qui m’a permis de faire quelques économies !… Tiens ma chérie, voilà pour ton scooter ! », lui dit-elle en lui remettant une liasse de billets. Quel changement de comportement ! Quel changement de ton ! Heureusement que Mona est toujours aussi peau de vache, sinon on finirait par s’ennuyer !

Le lecteur remarque que la belle-mère d’Aggie est d’autant plus sympathique avec elle que sa fille Mona se trouve éloignée. Celle-ci a manifestement une mauvaise influence sur sa mère qui, par un phénomène de mimétisme, redevient acariâtre avec Aggie quand sa fille revient et l’excite. Un bon exemple : Mona quitte la maison pour cause de mariage (Aggie marie sa sœur, 1964), la belle-mère devient charmante avec sa belle-fille. Dans Aggie chef de classe (1967), une fois revenue dans le giron familial, étant en instance de divorce (tu m’étonnes, Charles !), la peste retourne sa mère comme une crêpe. De plus, après onze ans d’inaction à fumer la pipe dans son fauteuil et à s’user les yeux à lire son journal, voilà que M. Mack est rappelé par sa compagnie maritime qui lui demande de reprendre du service en voguant sur les océans, croisant Cuba, Singapour ou Bali. Alors, mère et fille se déchaînent sur la malheureuse.

Surboum

Si les premiers albums ont une tonalité triste, Aggie étant le souffre-douleur de sa belle-mère et surtout de Mona, par la suite Aggie devient – tout en continuant de repasser les robes de sa « demi-sœur » et d’astiquer la maison avec la larme à l’œil – une teenager âgée de dix-huit ans qui cherche à s’émanciper et a des préoccupations inhérentes à cet âge : posséder un scooter pour se sentir libre, avoir de l’argent de poche, aller aux surboums, sortir avec des copines et surtout des copains, car Aggie est très sollicitée par les garçons.

Deux d’entre eux se détachent du lot : Bill Tatum et surtout Bob Turnip qui est son boyfriend officieux, car rien n’est jamais explicite dans cet univers, en raison de la crainte de l’éditeur d’être sermonné par la commission des publications pour la jeunesse. Vu que les albums étaient destinés aux jeunes filles, les contacts physiques sont bannis : pas de baiser sur la joue encore moins sur la bouche ! Bill et Bob en rivalité permanente essayent mutuellement de s’évincer, tout en s’alliant, à l’occasion, afin d’éloigner un troisième larron comme Jeff au physique avantageux.

Miss Plumcake, la vieille chouette déplumée

D’autres personnages récurrents sont présents dans les albums : Chuck le barman du milk-bar, qui commente les événements du college d’un air désabusé ; les rivales d’Aggie, sur lesquelles s’appuie Mona pour faire des vacheries à la fille chérie de M. Mack. Parmi elles : Maud, une étudiante boulotte qui se ligue avec Trixie Bucks, la méchante en chef, pour tenter de déconsidérer Aggie auprès de l’administration du Wilson College, dans l’État de Philadelphie, composée de Mrs la directrice et la professeure principale Miss Plumcake, portant en toute occasion un chapeau de cérémonie noir orné d’un pompon. C’est une « vieille chouette déplumée », ose dire d’elle Bob Turnip dans Aggie et ses pensionnaires (1972). Sous des airs de vieille fille revêche, elle aime ses élèves et lance à la cantonade l’expression « boys and girls » afin de leur communiquer une consigne.

Les aventures de l’adolescente ayant pris fin en 1987, un recueil de trois histoires de la période américaine fut publié par les Éditions Vents d’Ouest en 1993. Puis, le même éditeur réédita dix albums, entre 1997 et 2000, du french tandem. Depuis, les lecteurs peuvent les emprunter en bibliothèque ou les acheter sur les sites marchands.

Voilà, en écrivant sur la bande dessinée Aggie, j’aurai bouclé la boucle en consacrant un article aux quatre séries proposées par la collection de la Société parisienne d’édition « Les Beaux Albums de la jeunesse joyeuse », à savoir dans l’ordre d’écriture : L’Espiègle Lili, Bibi Fricotin, Les Pieds nickelés et Aggie. Mission accomplie !

Didier Saillier

(Avril 2025)

Illustration : Paulette Blonay (scénario), Al. G. (dessin), Aggie et ses pensionnaires, n° 25, Société parisienne d’édition, coll. « Les Beaux Albums de la jeunesse joyeuse », 44 p., 1972. (Repris par les Éditions Vents d’Ouest en 1999).

Aggie, la cendrillon des temps modernes, de Hal Rasmusson, Al. G., Pierre Lacroix (dessin) Paulette Blonay (scénario), 10 volumes, Éditions Vents d’Ouest, 48 p. par vol., de 1997 à 2000.

(10 albums : Aggie chef de classe (1997 [1967]), Aggie et son Français (1997 [1969]), Aggie et Pim (1998 [1970]), Aggie à Paris (1998 [1970]), Aggie et les révoltés de l’URAM (1998 [1971]), Aggie et ses pensionnaires (1999 [1972]), Aggie fait des bonnes actions (1999 [1974]), Aggie et l’opération Survie (1999 [1979]), Aggie et la solution rétro (2000 [1979]), Aggie et Baby Lou (2000 [1980])).

Un critique culturel et littéraire qui écrit sur les œuvres qui l'enthousiasment. « Rien de grand ne se fit jamais sans enthousiasme » Ralph Waldo Emerson (« Société et Solitude ») ; « La plus grande décadence dans ce monde est de perdre son enthousiasme. » H. W. Arnold

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